mardi 29 décembre 2015

Chronique d'un premier séjour en Egypte fin 2014

   

Chronique de mon séjour dans une école copte en Egypte (nov-déc 2014)






Premières impressions de l’école copte (11 nov 2014)


Me voici arrivée à Samalout sans problème et, la première journée scolaire passée, je peux mieux voir comment va s’organiser ma vie ici. Maintenant à l’aéroport les files d’attente et les contrôles sont tels que j’étais juste bien pour l’embarquement sans même faire halte dans les boutiques ni flâner. Ma valise pesant 24,2 kg (23,5 kg max autorisés !), j’ai dû transférer deux livres en bagage à main (plutôt à dos) qu’on pèse aussi et qui ne doit pas excéder 12 kg !
Le pilote était une femme à la voix douce et il y avait bien 15 passagers en fauteuils roulants.
A l’arrivée au Caire j’étais attendue par Bernard Sauvé, le Versaillais bénévole rencontré l’an dernier, ingénieur retraité, et Emad, un jeune professeur de français. Le taxi est vite parti vers le sud après une halte de ¾ d’h dans la moiteur et l’attente d’un chargement à emporter (entraide copte), ce qui nous a fait arriver vers 1h du matin à destination.
Le complexe récemment construit est entouré de murs et hautes grilles et se compose de l’école du New Testament (NTS), de la cathédrale presque terminée (visitée en janvier), de la maison (plutôt palais) de l’évêque copte (rencontré aussi, parlant bien l’anglais) et du « club » où une très grande et belle piscine est bordée de terrasses et dont les annexes sont des salles de sport, un restaurant et des studios nommés « chalet » car ils ont un toit pointu !
C’est là que je suis logée avec sortie surplombant la piscine et fenêtre donnant sur le palais épiscopal !
Une fois les draps douteux changés et le frigo rempli d’eau en bouteilles, de yaourts et de produits divers que j’ai prudemment apportés pour varier des crèmes de gruyère et de la confiture qui font l’essentiel des repas pris en chambre, tartinés sur du pain de mie, je suis bien installée.
Les rideaux trop longs ont des accroches tarabiscotées dorées et serties de faux brillants assorties aux poignées de l’armoire. Il y a un chauffe-eau, l’air conditionné, une télé plate et un lecteur de DVD et j’ai obtenu une table et une chaise qui manquaient ainsi que d’avoir deux draps au lieu d’un !
La nuit, à part les bagarres de chiens, chants de coqs et de muezzins, je suis assez isolée du bruit de la rue où il y avait encore toute une vie nocturne à notre arrivée. Dans la journée, les cours de récréation, les travaux de l’atelier de menuiserie sous ma chambre et des maçons s’arrêtent assez tôt. Deux boutiques et un supermarché ont un accès direct depuis l’école, donc pas besoin de sortir de ce complexe agréable d’où j’assiste à un joli coucher de soleil rose et bleu. Malgré le manque d’arbres, la piscine bleue bordée de fausse herbe et ornée de céramiques colorées et de nombreuses jardinières en balcon et ce patio entouré de hautes arcades font un décor ouvert et plaisant.
A midi, la cuisine nous prépare un repas chaud que je mange dans une salle-à-manger vide avec Bernard. Le  petit-déjeuner et le dîner, je les prends seule dans ma chambre avec les réserves du frigo et j’ai les après-midi libres à moins de demandes particulières des professeurs..
Les cours commencent à 7h45 mais les élèves arrivent dès 7h (ramassage scolaire) et ils se terminent à 14h. Vendredi (musulman) et dimanche (copte) sont jours de congé. Une majorité d’élèves et de professeurs sont coptes. Toutes les femmes et les fillettes sont en pantalon. Quelques maîtresses musulmanes sont en robe longue et voilées. Dans les classes Mohamed et Akim sont à coté de Mikael et Mark. L’uniforme, pantalon marron et chemise beige à carreaux, est le même pour tous avec des fantaisies parfois. Toutes les fillettes ont une longue tresse dans le dos.
Les professeurs sont jeunes (moins de 35 ans) et les 400 élèves du primaire et du collège sont divisés en deux groupes, l’un d’eux ayant les cours scientifiques en anglais, l’autre en arabe. L’école étant récente, la première promotion arrive en seconde. Il y a une majorité de garçons mais les classes sont mixtes. Dans les classes les bureaux sont rangés par petits groupes de 4 à 6 élèves et certains se tournent donc le dos. Respectueusement on frappe aux portes avant d’entrer.
La journée commence à 7h30 par un rassemblement en rangs et l’hymne national ainsi que des exercices de bras, pivotements, etc…plus ou moins ordonnés et dirigés au haut-parleur accompagné de tambours. Ces exercices ont aussi lieu à la fin des deux récréations vers 10h30 et 12h45.
En plus d’Emad (24 ans, bientôt marié), l’autre professeur de français est Demyana (aperçue en janvier). Jeune, célibataire et pressée de partir à 14h, elle est plutôt calme, moyennement motivée et prend peu d’initiatives, suivant une méthode (élaborée en France) qui n’est pas enthousiasmante pour les enfants qui ont déjà beaucoup plus de cours d’anglais. A part. « bonjour », « ça va » et « comment tu t’appelles ? », les échanges sont réduits. Très souriants, ils veulent tous dire bonjour et essayer de communiquer…en anglais. Très sollicitée, j’ai bien serré 200 mains aujourd’hui !
Les deux cours d’1h1/2 auxquels j’ai assisté s’adressaient à des 9-11 ans curieux et pleins de bonne volonté mais on leur apprend des mots tels que « toupie », « bonhomme », « zut !» plutôt que « crayon » ou « je donne ».
A cet âge, c’est moins difficile qu’avec les collégiens chahuteurs et je vais commencer avec eux. J’ai déjà identifié deux jolies petites jumelles de 9 ans : Marise gauchère et Marette droitière !
Voila tout pour mon premier jour. Je vais essayer d’envoyer cela par courriel !

Samalout 2 (20 novembre 2014)

Me voici depuis dix jours à Samalout où le beau temps persiste. La piscine au pied de mon studio est bien tentante mais les femmes qui y nagent y sont recouvertes des cheveux aux chevilles et cet équipement me fait défaut ! Elles s’entraînent 2 à 3 heures avec un maître-nageur jusqu’à la nuit vers 17h15 où j’assiste à de beaux couchers de soleil. Les enfants courent autour de ce plan d’eau ouvert à tous sans aucune protection : quelques ballons y ont été envoyés mais aucun enfant n’y est encore tombé.
Mon plus gros souci est un combat très inégal que je dois livrer dans ma chambre contre les moustiques égyptiens qui me harcèlent silencieusement dès que j’y suis. C’est une fois piquée que je m’aperçois de leur présence et ils ont une agilité surprenante pour échapper. Je n’ai jamais réussi à en écraser un à la main. Le produit puissant que Bernard m’a passé m’asphyxie mais ne les décourage pas. La nuit, je me confectionne un chèche avec le petit drap en soie que j’ai apporté et il n’en sort que mon nez pour respirer, ce qui n’empêche pas une paupière boursouflée ou un doigt enflé au réveil.
Pour les prendre de vitesse, mon arme est le large oreiller qui les étouffe contre le mur quand ils sont en train de vite filer. J’ai un peu honte de l’état dans lequel je le mets. La lavette apportée de Paris  sert à faire disparaître des murs de longues traînées rouges. Je suis devenue experte pour repérer ces insectes et parfois 2 voisins sont tués d’un coup, quelle victoire ! Malgré les dizaines occises, les grillages aux fenêtres, l’ampoule dévissée au-dessus de la porte et le noir dans lequel je l’ouvre, il reste des irréductibles.
La nuit dernière j’ai eu un peu de répit, peut-être grâce à l’oignon coupé sur mon oreiller.
Ce conseil judicieux reçu hier par courriel a justement coïncidé avec l’apparition pour la première fois de ce légume pour agrémenter le concombre-tomate quotidien, tandis que 3 quartiers d’orange et du raisin en grains et sans goût constituent le dessert. Le plat de résistance est un mélange de riz et de vermicelle où s’ajoutent parfois des lentilles et des pois chiches avec des croquettes de viande ou du poulet pané.
Dans ma chambre j’ai écrasé deux petits cafards et le ruban colle-mouche que j’avais prudemment apporté joue bien son rôle avec pas mal de victimes.
Cependant on fait le ménage des parties visibles, ni derrière la porte ni sous le lit.
Malgré un équipement de pointe (lampes led, air conditionné, écran plat), l’entretien ne suit pas.
Il est désolant de voir les beaux bâtiments de l’école qui n’a pas dix ans se détériorer sans réparation : portes défoncées ou ne fermant plus avec serrure bloquée, pans de revêtement tombés, tables et sièges cassés, fenêtres coincées, tableaux tordus. Seul, le carrelage du sol semble résister. Lavé à grande eau plusieurs fois par jour, il se transforme en patinoire pour mes semelles en caoutchouc et je descends les escaliers mouillées avec grande prudence, ne souhaitant pas découvrir l’hôpital égyptien.
En plus de grandes salles de sport, il y a un tennis à l’abandon jamais nettoyé pas plus que l’escalier qui y mène. Les tables et fauteuils en rotin de la terrasse ont perdu une partie de leurs éléments et il n’en reste que de traitres clous à vérifier avant de s’asseoir !
La cathédrale n’est pas encore terminée et des ouvriers s’y activent. Elle a une belle architecture à arcades et on aperçoit les vitraux avec des scènes de la vie du Jésus. Un haut campanile domine l’ensemble tandis que devant le palais épiscopal des personnages très réalistes en plâtre peint représentent la passion et la résurrection. Sur le coté qui domine ma chambre, un grand Bon pasteur de 6m en fer forgé me protège tandis que les brebis à ses pieds servent de supports à des nids de mésanges cachés sous leurs extrémités, museaux et pattes.
Vendredi je suis allée à l’office (messe) dans la crypte au plafond à caissons en forme de croix. Les bancs de bois sont sculptés et les piliers en béton attendent leur décor. Le service commence vers 7h et se termine vers 10h mais j’estime suffisant d’arriver à 9h pour entendre les chants monocordes et incessants du chœur masculin ou des prêtres parmi lesquels j’ai identifié des « kyrie » et des « amen ». La cathédrale était pleine, hommes à gauche et femmes à droite. Quelques rares femmes âgées en noir, beaucoup de jeunes femmes avec bébés mais pas un n’a crié ou pleuré. Les enfants sont bien habillés (jolies chaussures, mini-jeans, vêtements impeccables et recherchés). A l’école comme à l’église j’ai l’impression d’une société copte assez aisée. Les enfants ont des téléphones mobiles, des montres, certains des tablettes, de beaux sacs à dos pleins de livres. Les filles sont bien coiffées avec recherche, « chouchous » soignés, boucles d’oreilles. Pendant l’office, les mamans allaitent leurs bébés, les adolescentes écoutent de la musique sur leurs portables ou papotent entre elles sur le fond de chants ininterrompus. Quelques femmes portent des mantilles ou écharpes légères décorées d’un saint local et souvent glissées sur les épaules.
Il y a la communion, puis la distribution de pain béni coupé dans de grands paniers et cela se termine par l’aspersion généreuse d’eau bénite par un prêtre passant dans les allées. Une partie de l’office se déroule derrière de grands rideaux rouges.
A la sortie de l’office, on retrouve les élèves de l’école du Nouveau Testament et leurs familles et c’est encore l’occasion de serrer des centaines de mains.
Samedi, la fête des enfants se célébrait de 10h à 14h et les petits de maternelle (3 et 4 ans) s’activaient sur les bords de la piscine : course en sacs (à laquelle j’ai participé !), danse sur une musique tonique, sauts sur une structure gonflable ou tir de corde.
Les élèves plus âgés avaient aussi leurs compétitions, ravis d’échapper à 3 heures de cours. Jeux de ballons, épreuves de vitesse et d’adresse sur une surface savonneuse, démonstrations originales par classe. Les scouts faisaient le service d’ordre et les profs contrôlaient les concurrents. Cela s’est terminé par des remises de coupes et de la danse (genre WMCA). Les adolescents y étaient plus à l’aise qu’en français !
Bernard et moi ne sortons pas de l’enceinte du complexe copte, à la demande de l’évèque mais tout semble très calme et la vie paisible. Du tennis j’observe la rue : une marchande de fruit en plein air, 3 boutiques éclairées au néon le soir (dont Adidas), des ordures abondantes un peu partout. Le sol des rues est en terre battue et il passe surtout des « tuc-tuc », tricycles à moteur aux carrosseries bariolées de publicité qui servent de taxis.
Tous les immeubles alentour –et il y en a beaucoup- semblent en construction et, bien que pas terminés avec briques et béton apparents, sont souvent habités avec beaucoup de linge séchant sur les balcons.
Vendredi la directrice nous avait conviés à la fête des scouts de l’école qui avait lieu dans le jardin abandonné de ce qui fut une superbe villa à colonnades et terrasses dont les volets sont fermés et des marches manquent au double escalier. Sous des orangers et oliviers couverts de fruits, les scouts, garçons et filles de 10 à 16 ans (une avec le voile), avaient monté des installations multiples à l’aide de pieux et de cordes et une couverture en tente. La banquette sur laquelle je me suis assise était solide mais la balançoire semblait peu stable ! Le chef scout (sympa prof de gym à l’école) menait son monde à la baguette, certains acolytes se retrouvant « au piquet ».
Ces derniers de 18-20 ans organisaient des jeux sympas pour les plus jeunes avec beaucoup d’attention et tous semblaient très heureux d’être là. Pour nous, c’était une sortie inattendue qui permet d’apercevoir la ville. Le chauffeur de l’école nous a emmenés dans une belle voiture tandis que les scouts ayant défait toutes leurs installations (les pierres faisant office de couteau pour enlever les cordages plutôt que défaire les nœuds) rentraient en car scolaire.
Samedi soir, une fête de mariage a eu lieu au « club ». Les sièges en plastique ont été recouverts de housses en satin avec des gros nœuds mais assez froissés car rangés en boule ! Les invités élégants étaient installés à des tables non garnies (sauf de téléphones portables, avaient-ils dîné ou bu avant que je sorte regarder ?) autour de la piscine et entendaient une musique disco très forte (moi aussi dans ma chambre, ce qui m’a fait sortir) qui s’est brusquement arrêtée à 22h30. Ouf !
Des néons colorés éclairaient les terrasses et la piscine. La mariée en robe à bretelles et léger voile dansait avec ses amies puis les jeunes gens s’y sont joints. Il n’y a pas eu de feux d’artifice comme celui auquel nous avions eu droit vers 23h deux soirs avant, tirés d’une maison voisine.
Presque chaque soir, il y en a tirés dans le voisinage. Cela se mêle aux miaulements des chats et aux aboiements de hordes de chiens hurlant. Les coqs chantent à toutes heures, les muezzins entretiennent une cacophonie à plusieurs reprises de la journée avec des paroles et chants décalés surtout à midi et à 17h : il doit bien y avoir dix mosquées alentour.
Coté école, il y a beaucoup de cours de français car beaucoup de classes mais les effectifs sont généralement de moins de 20 élèves, sauf en maternelles où, plus nombreux il n’ont qu’une initiation courte à notre langue.A partir de 8 ans, chaque classe n’a qu’ 1h30 de français par semaine mais 1h30 d’anglais par jour (5 fois plus) et certains le double ayant aussi les maths et les sciences en anglais.
La discipline laisse beaucoup à désirer : les enfants mangent et mastiquent du chewing-gum, sortent (en demandant au prof), claquent les portes, bavardent et rient entre eux, se déplacent dans la classe, s’étendent sur leur bureau. Les ados répondent, tiennent tête et argumentent.
Demyana utilise une règle plate dont elle use abondamment sur la paume des mains des enfants du primaire. Cela doit faire mal car certains se frottent les mains après et d’autres n’osent pas les avancer par peur de subir ce châtiment. Certains enfants écrivent les mots à l’arabe. Ex : « moi », d’abord le i, puis le o écrit à l’envers en partant de la gauche, puis le m en partant de la droite !
Emad, petit et gringalet, hurle face à des ados grands et costauds qui le dépassent, vautrés sur leurs sièges et coincés sous des bureaux mal adaptés à leur taille. Dans chaque salle, le matériel est hétéroclite et il y a des sièges cassés, des chaises en plastique pour remplacer celles en bois, des bureaux de tailles différentes et des sièges de dimensions variées. Et pourtant, c’est du beau matériel solide qui a été installé il y a 6 ou 7 ans. Les bureaux des élèves sont disposés en désordre, n’importe comment et non pas en rangées, les affiches arrachées pendouillent. Le professeur n’a ni table ni siège. Il apporte sur crayon feutre pour le tableau blanc et réclame à un élève un kleenex pour l’essuyer.
C’est un mélange de laisser-aller et de discipline car le matin les élèves sont en rangs dans la cour, les retardataires courant se placer, et partent en bon ordre dans leurs classes selon un rituel que fait faire aux rangs de belles arabesques dans les deux cours.
Bernard, excédé par l’attitude de certains adolescents totalement absents des explications est sorti brutalement de plusieurs classes. Certaines élèves, dans les grandes classes, à 15 ans, sont voilées, 30 % des élèves étant musulmans. Je suis frappée par le nombre d’enfants aux yeux bleus, parfois très pales. Il y en a dans toutes les classes. Il n’y a ni Noir ni Asiatique. Certains ont la peau très claire et il y a quelques rares roux et blonds.
Dimanche, Bernard m’a enregistrée chantant (mais oui !) tout un répertoire de 20 chansons enfantines pour les petits de maternelle à 7ans. Il me reste à les leur apprendre. Cela va de « Meunier tu dors » à « Une poule sur un mur » et de « Il est né le divin enfant » (pour Noël) à « V’la l’vitrier qui passe ». Tout est mis sur une clé USB et écouté sur l’ordinateur.
Ce matin, dans la cour c’était « Radio française » et des enfants ont parlé et chanté une comptine devant l’école rassemblée pour le lever de drapeau.
Bernard et moi nous sommes réparti 48 cours de français. Je vais dans les petites classes et m’attache à la prononciation car on fait répéter les enfants par cœur sans qu’ils identifient vraiment les sons entre « e » et « u » par exemple. Dans certaines classes, je leur parle de la France, traduite par le professeur et aidée par un stock de cartes postales que j’avais apporté. Les petits sont sidérés par les hautes montagnes et il faut leur expliquer ce qu’est la neige que je compare à la mousse de savon car les profs ont du mal à décrire ce qu’ils n’ont jamais vu eux-mêmes.
A mes moments libres je dessine ce que je vois de ma terrasse et cela fait beaucoup d’arcades et de fenêtres de classes. Je n’ai pas le temps de lire les livres que j’ai apportés. J’ai la chance d’avoir Ale wifi dans ma chambre quand il veut bien fonctionner. Voilà tout pour aujourd’hui. Je pense vous avoir tout raconté.

La mi-temps de mon séjour en Egypte (28 novembre 2014).

Ce séjour me semble passer très vite.
Je vous rassure. Même si quelques irréductibles vésinent (il paraît que c’est le terme !) encore, j’ai presque éradiqué la colonie d’envahisseurs. Il faut dire que le temps commence à fraîchir et j’ai sorti un pull (très difficile de prononcer le « u » de ce mot par les enfants, comme d’ailleurs aussi le « e ») et mis une couette Spiderman sur mon lit hier. Le froid devrait anéantir les derniers récalcitrants.
Pas le temps de m’ennuyer entre les cours et les tableaux que Bernard et moi préparons pour les professeurs. Ceux-ci parlent mal le français, l’ayant appris de profs qui, comme eux, ne sont jamais allés en France et connaissent peu ou pas notre culture et notre histoire. Je viens de voir à la télé sur TV5 une longue interview de Hollande (le voyant parler pour la première fois) sur la francophonie qui, selon lui, est présente dans 1/3 des pays du monde…mais dans quel état ?
Nous essayons de donner des notions exactes aux plus petits de 6 ans et plus.
Je m’efforce d’ouvrir ma bouche excessivement ou en cul-de-poule selon les sons, ce qui les fait rire mais ils m’imitent bien. En me regardant faire devant le miroir de ma chambre, je comprends leur hilarité ! Les « p » aussi sont difficiles et le prof ne fait guère de différence entre « poupée » et « poubelle » (prononcé « boubél »).
Je deviens virtuose en chansons enfantines et chef de chœur avec « Alouette, gentille alouette ».
Parfois, après le lever des couleurs, à 7h30 le matin, il y a « Radio française » devant tous les élèves et les professeurs dans la cour mais j’avoue ne rien comprendre de ce qui est dit ou chanté, parait-il en français. La chorale « Alouette » des 6-7 ans doit s’y produire prochainement.
J’ai bien enregistré une trentaine de chansons de « La mère Michel » à « Gentil coquelicot » en passant par la Lorraine. J’étais sidérée de découvrir que j’en connais une centaine enfouie dans ma mémoire ! J’avoue qu’après deux ou trois couplets, je m’arrêtais car « Malbrough s’en va en guerre » en a au moins quinze.
Je suis aussi récitante de textes choisis de Du Bellay à Jacques Prévert avec escales chez Victor Hugo et Rimbaud. J’ai échappé aux fables de La Fontaine dont Bernard a apporté des CD joints à ses appels de fonds par la fondation Valentin Haüy.
L’après-midi, tandis que Bernard prépare des gammes de sons allant du « ba » au « groin », j’établis des listes d’homonymes qui vont de « ou, où, houe, houx, hou ! » à « hospice, auspice ». Moi qui ne joue pas au bridge, ni ne fais jamais de mots croisés, sudoku ou autres mots fléchés, cela me fait travailler les méninges tout en m’amusant bien.
En parallèle, avec Bernard nous recherchons les racines grecques (déjà plus de 150) de « eu » (bien) à « phlegm- » (brûler) ; pardon aux hellénistes car nous devons faire parfois de légères erreurs malgré le « Robert » tout neuf que Bernard a offert aux profs et où nous puisons nos sources.
Chacun de nous a apporté son mini-ordinateur et il a recours à Wikipédia en cas de doute sur la prononciation dont nous extrayons l’indispensable entre les « é » et les « è ». J’ai pris plusieurs livres de grammaire avec moi dont « Les difficultés de la langue française » que je relis entièrement et j’apprends pas mal de détails que j’ignorais jusque là. Mon petit lexique orthographique m’est bien utile aussi mais le « Robert » liste les mots à l’orthographe rectifiée selon la réforme de 1990. Il paraît que maintenant on peut écrire « ainé » au lieu d’ « aîné ».
Ce dictionnaire est accompagné d’une clé USB pleine d’informations et de videos et nous utilisons nos ordinateurs personnels, également pour faire écouter ce que nous avons enregistré puis transféré sur une clé USB. Emad et Demyana, les profs, ont de vieux ordinateurs de bureau chez eux. Payés 80 euros par mois, ils ne peuvent s’offrir un portable, même s’ils habitent chez leurs parents à 24 et 26 ans.
Dans l’école, il y a une belle salle d’informatique pour les cours éponymes (mot d’origine grecque !) avec une trentaine d’écrans plats. C’est une école chère et les employés et professeurs nous ont fait comprendre qu’elle n’est pas abordable pour leurs enfants !
Aujourd’hui nous parlions des métiers avec les 12-13 ans et ils voulaient tous être médecins ou ingénieurs et même président de la République ! Hier, vu mon âge qui les oblige à apprendre 70 et plus, l’un d’eux m’a demandé si j’avais connu Bonaparte ! Pour eux, c’est le seul nom de Français qu’ils connaissent, un envahisseur vu négativement. Mais j’ai pu leur répondre que mon arrière-grand-oncle décédé quand j’avais 20 ans avait, dans sa jeunesse, connu un viel homme qui, lui, avait vu Napoléon, ce qui m’avait fortement impressionnée quand il me l’avait dit.
Nos deux profs de français ne collaborent pas entre eux, ne s’occupant que de leurs propres classes qui vont du CE1 à la seconde. Chacun suit la méthode imposée par l’école mais, à notre avis, mal adaptée à l’enseignement. Après 6 ans de français, ils ignorent la signification de « qu’est ce que c’est ?» ou « écrire » mais ont appris « artichaut » (légume inconnu dans le pays), « épée » (rarement utilisée de nos jours) et « farandole ».
Il faut aussi dire que les cours sautent souvent : mercredi cinq cours sur les dix de français prévus ont été annulés pour causes diverses (examens d’une autre matière, les profs de français qui doivent aider à la surveillance, priorité des révisions de l’épreuve future sur le cours de français, etc…).
Certains enfants s’en plaignent. Ils ont 44 cours par semaine dont deux de français et deux récréations d’un quart d’heure entre 7h45 et 14h ; c’est identique pour toutes les classes.
Bernard commence à ne plus supporter ce fonctionnement décourageant fait d’annulations du dernier moment, pas plus que les interruptions intempestives dans la classe d’autres professeurs venant distribuer leurs cahiers corrigés ou une note pour les parents, parfois 4 coupures en 40 minutes.
Moi qui suis là depuis moins longtemps, je réagis moins mais trouve cela insupportable.
Tout cela s’ajoute à l’indiscipline non maîtrisée qui rend certains cours impossibles à donner correctement. Parfois Bernard en abandonne certains au milieu ou refuse d’y retourner la semaine suivante. Personnellement j’arrive à imposer le silence… de temps en temps quand je le remplace auprès des adolescents avec des promesses d’images que je leur présente sur la France. Les grands photographient avec leur téléphone portable les cartes postales de montagnes ennéigées.
Nous avons rédigé un bilan que nous enrichissons petit à petit et nous nous interrogeons sur l’intérêt d’être bénévole dans ces conditions pour une matière aussi négligée.
Ceci étant dit, nous pensons que c’est important pour les Coptes de voir qu’on s’intéresse à eux, que nous apportons un souffle extérieur important et qu’il restera quand même quelque chose de notre passage. Je m’attache à leur parler de la France, avec de nombreuses cartes postales à l’appui.
Malgré les côtés négatifs, je suis ravie d’être ici et m’y sens bien. L’après-midi, Bernard et moi, travaillons ensemble sur la terrasse jusqu’à l’arrivée des moustiques. Sinon chacun mène sa vie. Pour me dégourdir les jambes car je suis beaucoup devant mon ordinateur, je fais quelques tours de piscine ou de tennis (ils ont la même taille) avec des mouvements d’assouplissement et je retourne chez moi.
Ici les personnes sont très aimables et nous avons l’occasion de rencontrer pas mal de monde, les élèves qui veulent nous parler…en anglais, les professeurs qui parlent cette langue, des personnes de passage –l’autre jour une directrice égyptienne retraitée d’école Montessori à Los Angeles qui a fait Normale sup à Sèvres, ce matin un parent d’élève parlant français bien mieux que les profs- et c’est convivial. Nous n’éprouvons pas le besoin de sortir.
Vendredi dernier la directrice de l’école, Mme Neween, nous a proposé de l’accompagner à un pèlerinage dans le village de sa famille. Il y avait foule dans les ruelles pour accéder à l’église où on fêtait St Michel. Des jeunes essayaient de canaliser les flux entrant et sortant et c’était la bousculade à qui passerait. La chaussée, comme à Samalout, n’est pas asphaltée. Dans les rues tortueuses praticables par les seuls « tuc-tucs » (tricycles-scooters) il y a de mini-boutiques installées dans des portes cochères, genre bazar vendant des sucreries, des objets ménagers et de l’alimentation. Les musulmans et coptes se mêlaient, les uns regardant passer les autres.
Dans le chœur de l’église, prêtres et assistants psalmodiaient sans fin, accompagnés d’un public plus ou moins attentif dont un certain nombre d’assistants ayant leur livre de prière sous les yeux. Etaient assis dans les bancs des vieilles femmes tout en noir, un foulard et une guimpe autour du visage, pas mal d’hommes, des jeunes élégantes, des enfants….mais une bonne partie des pèlerins rentraient pour se diriger vers le grand tableau de St Michel, pour le toucher et allumer une bougie à planter dans le sable d’un grand bac.
Assis au premier rang, nous avons été invités par le pope à barbe blanche et turban, parlant un peu l’anglais, à entrer dans le chœur, ne sachant qu’y faire, gênés d’être le point de mire de tous. Nous sommes allés mettre notre bougie et avons été gratifiés d’une dizaine d’images différentes du saint en vente dans l’entrée, ce qui réduisait d’autant plus celle-ci tout en augmentant la mêlée.
Une fois sortis, Mme Neween nous a emmenés dans la maison de ses parents où habite son frère, le maire du village. Une maison cossue avec de lourds canapés et fauteuils dont les tapisseries sont couvertes de draps pour les protéger. Au mur, les photos des grands-pères, une grande tapisserie du Bon pasteur, un crucifix, un portrait de saint homme…
Mme Neween nous emmène dans ce qui fut la chambre de son jeune frère décédé à 28 ans, il y a 8 ans. Rien n’a bougé depuis parce qu’un miracle s’y produisait : toutes les grandes images pieuses accrochées autour du lit du malade (cancer) suintaient spontanément de l’huile (sainte) dont ces petites affiches sont plus ou moins maculées comme la paroi en-dessous d’elles.
Cela est impressionnant et m’a laissée perplexe. Mme Neween ne parle pas anglais mais ses filles, pharmacienne et étudiantes en médecine, nous traduisaient. Elle nous a dit avoir eu une apparition de son frère avec Jésus ! Dommage que nous n’ayons pas de langue commune car je lui aurais bien posé quelques questions. Il est notoire que les Coptes reçoivent pas mal d’apparitions dont certaines vues par des centaines de personnes. Plusieurs lieux d’apparition sont devenus des centres de dévotion et pèlerinages. Cela soutient le moral de cette population très éprouvée.
A une compétition inter-écoles récente, la NTS (New Testament School) a été classée dernière alors que le niveau est excellent. Une élève de 14 ans en est revenue ulcérée disant : « C’est parce que c’est l’école copte ». C’est possible ou est-ce pour détourner les parents musulmans de choisir cette école ?
Installés dans le salon du maire, nous avons dîné de très grandes et fines glettes rigides (crêpes sèches à base de farine de maïs) préparées par la grand-mère en longue tunique droite tandis que ses petites filles sont en collants rouges sous de longs pulls et les cheveux au vent. Avec un agréable fromage mou, c’est très bon et, suite à nos compliments, nous sommes repartis avec deux grands sacs de ces galettes qui changent un peu de notre ordinaire répétitif. Nous sommes rentrés ravis de notre escapade, emmenés par un chauffeur de l’hôpital attenant à la vieille cathédrale (un autre complexe copte) près de laquelle nous logions en ce début d’année, lors de ma première visite dans cette ville.
Chaque soir, des voisins, sans doute différents tous les jours, tirent quelques feux d’artifice dont j’aperçois les sommets ou les reflets dans les vitres de l’école. Je les entends tandis que j’écris. Dans l’immeuble voisin, en construction comme tous ceux des alentours, un chien est enfermé dans le chantier assez à l’abandon et l’animal esseulé aboie souvent attirant ses congénères dans un concert à plusieurs voix qui vaut celui des muezzins.
Vendredi étaient prévues des manifestations des « Frères musulmans » contre le président (qui vient de rencontrer Hollande à Paris). Les Coptes sont restés chez eux et l’église était bien vide pour la « messe » où
Manquaient les ¾ de l’assistance habituelle. De 11h à 14h, nous entendimes les haut-parleurs qui haranguent une foule que nous ne voyions pas puis tout s’est tu : il fallait bien se restaurer. Pour nous, c’était jeûne car aucun cuisinier copte n’était venu et, au supermarché attenant, on avait prudemment fermé.
Le gardien accepta de nous laisser sortir et nous accompagna à une petite boutique à 30 mètres où nous avons acheté du pain, de quoi survivre ! La rue était déserte. Les 4 ou 5 entrées de notre complexe donnent toutes sur des cul-de-sac mais le mur du tennis en terrasse longe une grande rue et c’est notre seul mirador.
Tout à coup on entendit des cris sont tout proches de nous et nous avons aperçu une bande de jeunes qui couraient vite.. Le gardien nous a dit : « ne vous montrez pas » et nous avons seulement jeté un coup d’œil discret sur la rue où il y avait deux cars de police et quelques militaires et beaucoup de personnes aux balcons où sèche toujours du linge. Le gardien revint nous rassurer : « Tout est fini ».
Aujourd’hui il y a une grande fête avec un banquet mais ce sera pour le prochain numéro de ma chronique. Il se passe –presque-- toujours quelque chose à Samalout.

La fête à Samalout  (2décembre 2014)

Je vous ai parlé d’une fête. Bernard et moi n’avons pas été prévenus mais très intrigués par une activité inhabituelle. Toute la journée de vendredi, tandis que les Frères musulmans haranguaient la foule derrière nos murs, on s’activait beaucoup dans l’enceinte de notre complexe.
Les cuisiniers coptes, rassurés par le calme de la ville, ont travaillé le soir et toute la nuit pour présenter ce matin, samedi 29 novembre, un superbe buffet de beaucoup de plats variés et joliment décorés qu’ils servent coiffés de la toque traditionnelle et gantés de plastique.
Des personnes se sont activées autour et dans la cathédrale dans laquelle on a posé des tapis plus ou moins usés sur le sable dont est encore constitué son sol. Des tentures avec des arabesques en patchwork ont été suspendues sous les vitraux naïfs, cachant les ouvertures encore sans vitres. Un écran géant et des chaises louées sont prêts pour des spectateurs.
Tout autour de la cour de cette église, des banderoles ont été accrochées aux grilles de l’école qui sont ornées de ses initiales NTS (New Testament School). On y voyait le portrait de l’évêque et de quatre jeunes gens, chacun ayant ses affiches. Bernard et moi imaginions que c’étaient de récents martyrs coptes. Pas du tout. Renseignements laborieusement pris, il s’agissait des hommes d’une trentaine d’années qui allaient être ordonnés prêtres le samedi à 6h30 du matin, si nous avions bien compris.
Ce matin, réveil matinal pour nous, d’autant plus qu’un des futurs ordonnés loge dans le studio à côté du mien et qu’on frappe à ma porte par erreur ! Déjà, la veille, j’ai répondu à 5 ou 6 coups chez moi jusqu’à minuit pour ouvrir à un visiteur ou un autre et l’entendre s’excuser : « sorry, sorry ».
A l’heure dite, les familles des postulants sont déjà installées dans la partie décorée pour la circonstance qui leur est réservée dans la crypte mais, sinon, celle-ci est encore vide et nous allons assurer les cours à 7h30 à l’école. Nous avons bien aperçu un dense regroupement d’aubes blanches par la fenêtre de la sacristie qu’un rideau sépare de l’église mais l’office n’est pas commencé.
Le chœur est en fait le fond de l’église avec cinq arcades d’où pendent des tentures rouges. La plus grande, centrale, est ouverte pendant les cérémonies et laisse voir un autel carré en marbre sculpté avec le tabernacle au centre et une grande fresque du Christ en gloire. A droite et à gauche les rideaux cachent des autels secondaires avec d’un côté IsaÏe dont un ange brûle les lèvres d’un charbon ardent, de l’autre Jésus ressuscitant les morts. L’un d’eux s’ouvre pour la communion des hommes. Quant aux femmes, elles la reçoivent par une plus petite porte en bois qui s’entr’ouve et ressortent par la galerie extérieure.
Par respect, les Coptes se déchaussent dans les églises et on aperçoit les chaussures en tous genres posées entre les bancs. Les enfants gardent les leurs. A la communion, donnée sous les deux espèces, tout le monde va pieds nus ou en chaussettes. Côté femmes, toutes portent alors un voile ou foulard sur la tête et une jeune assistante du prêtre propose des mouchoirs avec inscriptions religieuses pour éviter que le vin consacré donné à la petite cuillère ne se répande sur les vêtements. Même les bébés portés par leur mère y ont droit. Dans d’autres églises où je suis allée en janvier, chacun porte un mouchoir sur lequel repose le pain qui est porté directement à la bouche sans que la main le touche. Ici, le prêtre le met directement dans la bouche des communiants.
Le « Notre-Père » est récité mains ouvertes comme en France et en fin de cérémonie, le pain bénit est distribué à tous dans des corbeilles et le prêtre arrose abondamment les assistants d’eau bénite, plongeant la main dans un pichet en plastique. Le pain a été apporté par des fidèles en début de cérémonie et, pour les ordinations, était en vente à l’entrée dans des sacs en plastique.
Des chœurs d’hommes psalmodient sans cesse, parfois alternant avec le prêtre, parfois accompagnés de toute l’assistance. Et la « messe » avec credo, sermon et nombreux « kirye eleison » dure près de trois heures.
Donc, ce samedi, après les premiers cours, nous avons une pause vers 9h30 et retournons à la cathédrale qui est archi-pleine, des enfants se nichant sur les autels des bas-côtés dont les couloirs sont assez bondés. Les scouts de plus de 15 ans, en tenue, sous la direction de Kawadros, le prof de gym chef scout, assurent impeccablement le service d’ordre et canalisent le flot d’arrivants.
La cérémonie d’ordination se déroule : onction d’huile, prise d’habit, de luxueuses chapes et une mitre d’évêque brodés, accolades avec les dizaines d’autres prêtres qui vaquent autour dont un bon nombre en train de photographier avec leurs tablettes et portables !
Des you-yous aigus sont lancés par les femmes et se mêlent aux applaudissements de félicitations avant que les nouveaux ordonnés psalmodient chacun à tour de rôle un long chant sous l’œil attentif de l’évêque. Ce qui se passe autour de l’autel me paraît assez fouillis avec les prêtres en tous sens.
Dehors, beaucoup d’hommes, dont une bonne partie en djellaba, bavardent entre eux, m’évoquant nos messes d’antan en France, les femmes dedans, les hommes au café. Ils ont l’excuse que la moitié gauche de l’église est plus que pleine, y compris dans les couloirs, et qu’ils ont donc été refoulés. Certains suivent l’office de l’extérieur devant la porte mais peu montent dans la cathédrale où les attend pourtant l’écran géant. J’évalue à plus de mille personnes sans compter les enfants l’assistance du vendredi et aujourd’hui, il y en a bien plus.
Il y en a aussi deux installés dans la crypte aussi grande que la cathédrale où l’on voit les prêtres en gros plan. Lors des messes, les paroles des chants y sont projetées. Un bel équipement audio-visuel est installé dans une salle.
Ayant d’autres cours à assurer, je pars vers la piscine où, en deux heures le somptueux buffet a été installé ainsi que des dizaines de tables entourées de chaises.
Il est tout juste dix heures et certains prêtres qui n’ont pas revêtu d’aubes viennent déjà se restaurer.
En ville les prêtres coptes portent une longue tunique noire sans ceinture et un chapeau noir entre béret, galette et turban que je ne sais pas décrire mieux !
L’assistance commence aussi à s’approcher du buffet où sont servis dans une grande barquette en plastique des galettes souples, de la purée, diverses sauces, des légumes sautés, des croquettes, des frites (froides), des haricots, de la crème de sésame, des légumes au vinaigre, des rondelles de pommes de terre à la tomate et encore d’autres bonnes choses. Tout cela se mange avec les doigts, le pain servant d’instrument.
Quand j’arrive entre deux cours vers 11h45, toute la foule est passée de la cathédrale aux abords de la piscine dont les scouts, imperturbables, contrôlent l’approche. De même tous les accès sont gardiennés. Il y a des centaines de personnes venues des paroisses des nouveaux prêtres. L’un d’eux est porté en triomphe. Beaucoup de gens simples, de fellah (paysans) en djellaba avec leur turban sur la tête et parfois une écharpe autour, en plus. Les femmes âgées sont en noir, le visage et la tête souvent bien enveloppés ou avec un fichu. Certaines ont visiblement mis leurs plus beaux atours avec des plastrons brodés ou couverts de strass sur leur longue tunique en velours, avec ou sans ceinture.
Des mamans allaitent leurs bébés dans la cathédrale où l’assistance est plus recueillie et priante que celle du vendredi bien plus citadine. Ces personnes attentives au déroulement de la cérémonie et silencieuses sont touchantes de joie et de simplicité. Elles sont heureuses d’être là et apprécient ensuite le bon repas distribué à tous. Elles se regroupent en famille ou avec des amis. Je déjeune avec deux familles tandis qu’à une table voisine un jeune prêtre berce son bébé, Mark, dans une couverture rose, jolie scène. Les prêtres peuvent être mariés s’ils l’ont été avant leur ordination.
Il y a beaucoup d’enfants tandis que les « nôtres » sont étrangers à cette cérémonie et on les entend crier en récréation ainsi que battre le tambour pour retourner en rangs dans leurs classes.
J’ai encore des cours auxquels je file à midi, traversant la foule qui, lorsque je sors à 14h, a complètement disparue. Les tables sont déjà rangées et mon décor a repris son aspect habituel.
La vaisselle est faite et la cuisine en ordre. Cela a vraiment été très rapide : chapeau ! les Egyptiens.
De la fenêtre d’une classe, j’avais aperçu qu’on chargeait déjà toutes les chaises louées sur une carriole tirée par un âne. Il ne reste plus une trace de la fête tandis que j’écris ce même jour à 16h.
Les banderoles sont parties aussi. Seul subsiste le plâtre durci étalé il y a deux jours sur un plastique recouvrant les jolies arabesques de marbre des paliers vers la cathédrale pour les protéger.
La fête est finie mais elle fut vraiment belle. Demain, c’est dimanche, jour où l’assistance à l’office copte est moindre que le vendredi, jour de repos officiel de ce pays musulman où les enfants vont en général à l’école le dimanche, n’ayant qu’un jour de congé. NTS fait exception en laissant le dimanche libre.
Ce jour-là, il y a beaucoup moins de monde, et surtout d’enfants, que le vendredi à l’église et la consécration se déroule dans un silence absolu avec une assistance recueillie, mais quelques élèves de l’école viennent quand même me dire « bonjour » avec gentillesse pendant l’office.
Le temps file vite mais le soleil est toujours présent. Il fait plus frais et les anoraks et gants sont sortis et même certains élèves écrivent les mains gantées.
Je reprends ma chronique le jeudi 4. Il fait toujours beau et suffisamment chaud pour ne pas décourager quelques moustiques affamés. Je prends l’habitude de faire une sieste au soleil après le déjeuner tardif, les cours finissant à 14 h et cela fait rire Guergès (Georges), le maître-nageur qui passe devant moi pour rejoindre sa chambre.
Dimanche après-midi, de ma chambre j’entendais un groupe de fillettes répétant des chants allègres avec sono et , en allant prendre l’air j’assiste à la répétition de la chorale de No¨¨el dans le jardin de l’évêque. Les chants sont mimés et une crèche vivante se tient au milieu des statues en plâtre peint de la Nativité. A la fin, les moutons et les rois mages plus grands que nature repartent tous à leur réserve sur l’épaule d’un gardien, scène amusante. Ici Noël sera célébré le 6 janvier.
La sono repart à la crypte où je fais un tour et j’y apprends qu’une assemblée de prière aura lieu le soir. J’y vais donc et l’assistance aussi nombreuse qu’à la messe est en majorité jeune, quelques mamans allaitant. L’animation est faite par un chœur de femmes accompagné d’une sono rythmée et c’est beaucoup plus vivant que les chants monocordes des hommes. Les paroles des chants sont projetées sur l’écran avec des fonds de paysage ou de scènes bibliques. Les hymnes alternent avec des textes lus et des prières. Après une heure et demie agréable à l’oreille, je regagne mon chez-moi, ravie de ce nouvel imprévu.
Jusqu’à maintenant, dans le partage des cours, j’avais les petites classes, laissant les adolescents à Bernard. Cette semaine, je vais chez les plus âgés extrêmement indisciplinés à part quelques silencieux qui essayent d’apprendre quelque chose au milieu du chahut. J’essaie d’écouter leur prononciation individuelle et c’est une catastrophe. Personne n’a été capable de lire les mots d’une syllabe écrits au tableau !.
Dans la classe des 14-15 ans, le même élève s’est déplacé douze fois pendant le cours puis a souillé toute sa table au feutre indélébile, un autre mangeait ses chips (et j’ai jeté son paquet à la corbeille !), d’autres bavardaient et j’ai demandé à Imad, le prof, de ne rien dire et de ne pas crier comme il a l’habitude de le faire. J’ai seulement écrit au tableau « Ceux qui ne veulent pas étudier le français ferment la bouche, s’il vous plait », ce qui les a intrigués, et j’ai demandé de traduire. L’un d’eux a identifié « ne…pas » comme une négation et un autre « s’il vous plait », c’est tout… et ils étudient le français depuis sept ans ! J’ai dessiné une bouche. L’un d’eux l’ayant proclamée « baiser », je l’ai remplacé par un sourire à grandes dents ! Une seule élève a su traduire « crayon ». C’est assez désespérant.
Avant l’arrivée des bénévoles comme Bernard et moi, il n’y avait aucune méthode d’apprentissage des sons et des mots usuels en français et cette classe en est victime. Les jeunes professeurs sont assez inexpérimentés et passent leur temps à essayer de discipliner leurs troupes. Les petits ont plus de chance en commençant par la méthode Boscher qui a fait ses preuves.
Je suis venue avec un lot important de cartes postales de France que je passe en fin de cours tout en leur parlant de la France « qui est deux fois moins grande que l’Egypte », ce qui ravit les garçons. J’ai une série sur la mer, une autre sur la neige qui intrigue les petits, une sur les villes, etc... La perspective de voir les photos rend certains élèves assez sages chez les 9 à 12 ans. A force d’être manipulées par tous et photographiées avec leur portable par les plus grands, elles commencent à avoir triste allure.
J’ai aussi apporté des cartes d’autres pays ou de sujets divers à leur donner.
La distribution est parfois houleuse avec toutes les mains tendues et des resquilleurs viennent me faire les yeux doux pour en avoir plusieurs. D’autres sont insatisfaits de leur lot mais j’ai vite compris que je devais refuser de le leur changer. Je dois déjà faire attention de ne pas donner une église à un musulman et d’éliminer toute photo ayant une statue peu couverte ou une baigneuse sur une plage, même si elle n’a que 7mm de haut. J’ai même provoqué les larmes d’un petit parce que sa jolie image était plus petite que celles des autres. Bien que presque tous soient ravis de ce mini-cadeau (que même des profs que je ne connais pas me réclament), je ne suis pas sûre d’avoir eu raison d’entreprendre cette distribution.
Aujourd’hui, je voulais discrètement célébrer l’anniversaire de Bernard et demander à la cuisine un dessert différent de l’orange en quartiers déjà épluchée quotidienne. Mais Madame Neween, la directrice, l’a appris et voulu le lui souhaiter dignement. Tandis que nous patientions longuement dans la salle d’attente, Bernard pestait contre cet imprévu qui retardait notre déjeuner et a été tout surpris de découvrir qu’il en était la cause.
Sur l’immense table de la salle de réunion (dont le centre est un long bac rempli de fleurs artificielles fatiguées) un gros gâteau trônait avec des croissants enrobés de miel. Nous eûmes droit à « Happy birthday » en anglais et arabe, le « Notre Père » en français et en arabe et la bénédiction de Shénouda, un futur prêtre coordinateur à l’école, avant d’entamer une épaisse génoise à la crème. Une part chavira et sombra dans la fausse verdure centrale (!!) tandis que tous les possesseurs de portables se photographiaient avec nous devant un chétif sapin de Noël en plastique qui a bien chuté cinq ou six fois de son piédestal instable jusqu’à ce que Bernard décidât de le tenir à bout de bras pour la postérité.
Parmi les quelques professeurs chrétiens présents, une plantureuse et sympathique musulmane tout en noir, prof d’anglais à l’excellent accent comparé à nos pauvres francophones, nous a dit à chacun, Bernard et moi, en nous quittant : « Pray for me ».
J’ai appris que tous les professeurs sont chrétiens sauf ceux d’arabe et de religion musulmane, ce qui fait une dizaine de femmes voilées. L’école accueille 900 élèves en incluant les maternelles et il faut encore attendre deux ans pour que la première promotion (les nuls en français dont je parle plus haut) arrive en terminale.
Les chrétiens égyptiens ont tous une petite croix tatouée à l’intérieur du poignet ou sur la racine du pouce et des enfants s’étonnent que je n’en aie pas. Les Coptes observent un jeûne strict pendant l’Avent et le Carême. Depuis le 25 novembre jusqu’au 6 janvier (soit 40 jours), à partir de 7 ans, ils se privent de  tout ce qui est viande, produits laitiers, œufs, alcools, bière. A ceci s’ajoutent quotidiennement vingt minutes de prières spéciales pour cette préparation à Noël. Il en est de même pour la période du carême avant Pâques. Le poisson est autorisé. Emad m’a expliqué qu’il n’avait pas commencé le jeûne car il s’y préparait spirituellement. A mon avis, il est déjà trop gringalet pour se restreindre encore. Pour nous, la viande est au menu de chaque déjeuner, souvent du poulet..
Vendredi matin à la célébration, tous les enfants, comme à l’école, avaient leur paquet de chips personnel et grignotaient avant de laisser l’emballage par terre. Il y a un petit nombre d’enfants déjà vraiment obèses. Leurs sacs à dos scolaires sont aussi bourrés et lourds qu’en France. Les petits courent avec un énorme sac sur le dos qui m’impressionne.
Hier j’ai retranscrit plus de 550 expressions imagées que Bernard et moi avons rassemblées. Cela va vraiment « du coq à l’âne » en passant par « entrer dans la cage aux lions » (la classe des grands est un bon exemple) et « honni soit qui mal y pense ». Et aujourd’hui nous avons peaufiné notre bilan car Ashraf, le Copte professeur à l’université de Limoges où il est marié à une Française, par l’intermédiaire duquel nous sommes venus ici, doit passer. Il est originaire de Samalout dont il connait bien l’évêque et il est parent avec notre directrice. Nous souhaitons que ce soit lui qui présente notre rapport parfois critique plutôt que les profs de français. Comme vous voyez, Bernard et moi ne chômons pas.
Il fait 26 ° à l’ombre et j’ai écourté ma sieste au soleil par crainte d’une insolation. Pour ceux et celles qui s’inquiètent, nous n’éprouvons pas le besoin de sortir de notre complexe d’environ 2 ou 3 hectares avec assez d’espace et de lieux variés pour nous y promener et tout sous la main dans le supermarché. Du reste, l’extérieur n’a rien d’attrayant avec les rues en terre, poussiéreuses et couvertes de détritus qu’aucun balayeur ne semble jamais éliminer. Comme la ville a plus de 100 000 habitants, cela fait pas mal de saletés en tout genre qui s’incrustent lentement dans le sol.
Demyana, la jeune femme qui enseigne le français, habite à dix minutes à pied de l’école mais ne se hasarde jamais seule à pied dans les rues. Elle m’a expliqué que c’est dangereux pour une jeune Copte au milieu des musulmans. J’ai évoqué la bicyclette et cela l’a fait rire et me répondre : « c’est interdit aux femmes ici ». Elle utilise le tuc-tuc pour venir à l’école.
Je vais terminer pour aujourd’hui. Si j’ai le temps et des éléments nouveaux à vous raconter, je ferai encore un envoi. Sinon ce serait celui-ci le dernier.

Suite et fin de mon séjour à Samalout (15 décembre 2014)

J’ai encore beaucoup de choses à raconter : il se passe toujours quelque chose à Samalout !
Sous mon studio, il y a un grand atelier de menuiserie bien équipé où une dizaine d’hommes travaillent activement de 7h du matin à quelquefois fort tard le soir. Ils fabriquent tout : le mobilier des classes, les portes de la cathédrale, les meubles de jardin, des bureaux, mon lit et mon armoire, etc… Leurs grosses machines sont assez bruyantes et de longues planches attendent dans la cour où ils scient à la main, rabotent, assemblent, poncent, vernissent…
Les portes de l’église sont en marqueterie de bois de différentes couleurs selon un fin motif de croix assez compliqué et c’est un très beau travail dont la partie cachée est impressionnante d’entrelacs.
Leurs montants sont sculptés avec minutie de grappes de raisin. Les chaises de l’école ont une jolie forme avec un pied en H. Malheureusement, on laisse les enfants se balancer et pas mal de sièges, n’ayant pas résisté au traitement, se retrouvent entassés dans un coin de la classe et remplacés par une chaise de jardin en plastique.
Bernard et moi trouvions cela dommage quand, surprise, un atelier de réparation s’est installé dans la cour de récréation et une montagne impressionnante de meubles d’enfants se retrouvèrent à l’hôpital pour être recollés et renforcés avec force L bien vissés. Les tables sont couvertes de graffitis  mais la directrice nous a annoncé que, pendant les vacances de Noël, elles allaient toutes être poncées et revernies et que chaque enfant serait responsable de son mobilier car ils gardent toujours la même place toute l’année.
Pour que ce soit plus convivial, les tables des enfants sont plus ou moins rassemblées en petits groupes de 5 à 10 se faisant face. En contre partie, certains se retrouvent le dos au tableau et doivent faire de constantes contorsions. Ils sont d’autant plus tordus sur leurs chaises qu’ils posent leurs énormes sacs derrière eux sur l’assise, ce qui ne leur laisse guère de place pour poser les fesses. D’autres accrochent le sac au dossier et se lèvent sans cesse pour y chercher un cahier, un crayon ou un mouchoir  pour essuyer le tableau.
Chez les plus grands, les tables sont mises dans tous les sens selon le bon vouloir des élèves et je me suis battue chez certains pour mettre un peu d’ordre. Généralement les filles, en minorité, se regroupent d’un côté et, selon les classes, au premier rang ou au dernier rang. Les professeurs n’ont ni table ni chaise, donc rien pour poser leurs affaires !
Les tableaux sont blancs et les classes sont décorées de textes en arabe, d’affiches, de chats découpés dans du carton. Comme Noël approche, des guirlandes, « Merry Xmas », arbres décorés, père Noël et autres fleurissent…Dans la cour un beau père Noël est fait de gobelets en plastique et chaque colonne est ornée d’un gros nœud papillon doré pour les fêtes. Dans les couloirs, il y a quelques cartes et affiches de France et une série de posters didactiques en anglais sur beaucoup de thèmes et très bien faits. Je regrette de ne pas avoir le temps de les traduire en français.
Bernard m’a appris que les notes des élèves des grandes classes étaient si catastrophiques qu’on leur a refait passer un examen beaucoup plus facile ce matin pour ne pas trop descendre leurs moyennes. L’an dernier, c’était pareil et on avait dû compter le nombre de lettres correctes et non les mots exacts. Exemple : s’ils avaient écrit « potato » pour « patate » (mot simple de dictée), on ne comptait que 2 fautes sur 6 points : les deux « o » !!!!

Nous continuons à avoir des surprises intrigantes pour nous. Depuis quelques jours une équipe d’ouvriers s’active à détruire la jolie terrasse couverte surplombant la piscine où Bernard et moi aimions déjeuner, les jeunes s’y réunir pour pique-niquer, les employés pour regarder un match de foot à la télévision et les amoureux pour bavarder. Tout cela a disparu sous nos yeux : les guirlandes de Noël qui s’allumaient le soir, les fauteuils en rotin avec coussins et les tables (dont parfois tous les tortillons du plateau avaient disparu, ne laissant que la série de clous les ayant retenus !), les éclairages, puis toutes les balustrades en fer bleu, ensuite les « tuiles » en bois, enfin le marbre des escaliers d’accès et le sol en carrelage.
Faute de marteaux-piqueurs, tout se fait au burin, à la masse et à la pioche avec bruit et poussière…
Additif : au moment où j’envoie ce courriel, ils ont amélioré la technique avec de grosses perceuses à percussion et le travail de sape est presque terminé tandis que les gravats s’accumulent.
Maintenant ils en sont au béton du toit (cinq pyramides basses) dont la poussière se noie dans la belle piscine à débordement. Que vont-ils faire ? C’était neuf comme le reste et un agréable espace convivial, en plus le seul endroit où se connecter au wifi, quand on avait de la chance. Il nous a fallu trouver un interprète pour apprendre qu’on aller remplacer la terrasse par des chambres d’hôtes comme les nôtres. Il n’y en a que quatre et deux dortoirs aux lits en fer superposés et serrés (genre le gîte de Roncevaux sur la route de Compostelle, pour ceux qui le connaissent).
Nous voyons avec regret disparaître chaque jour un peu plus l’espace convivial de la terrasse.
Quel dommage de détruire ce bâtiment tout neuf ! Comme le tennis est à l’abandon, on aurait pu bâtir dessus à moins de frais. J’en aurais perdu mon seul poste d’observation vers l’extérieur, un moindre mal ! Les ouvriers travaillent dans des conditions pénibles à taper toute la journée sans masque ni casque. Je viens de les voir dans la nuit descendre du toit par une échelle faite à la main de planches clouées en guise de barreaux, irrégulières et de travers, armés de leur bouilloire et d’un fil électrique. Le thé ne donne pas beaucoup de force mais c’est jeûne : ils boivent en équilibre sur les toits pentus et ne s’interrompent que pour déjeuner, ayant commencé à 7h.
Au club, il y a souvent des réunions diverses, conférences ou autres et des groupes de passage.

Profitant de ma vie plus décontractée qu’en France bien que dense, j’ai écrit des cartes mais, à la poste, il n’y avait que trois timbres pour l’étranger et Emad, le prof de français, a dû passer commande. A son passage suivant, la quantité obtenue était encore insuffisante. C’est si difficile dans cette ville de 55 000 habitants (quand même ! Et même 120 000 selon d’autres sources) d’avoir de tels timbres que, désolée, j’ai renoncé à terminer mon lot de cartes qui serait parti la veille de mon départ. Je le regrette pour les destinataires prévus qui me pardonneront certainement.
Qu’ils/elles se consolent car j’ai fait un excellent usage de la somme que je voulais y consacrer. Pour le prix d’un timbre pour l’étranger, on peut faire tirer dix photos. Dimanche une centaine de paysans coptes du 3ème âge ont eu une fête sous mes fenêtres. La plupart des femmes étaient vêtues de noir,  un fichu passé derrière les oreilles et attaché sur le devant de la tête avec un foulard par-dessus, une croix ou un petit collier au cou. Beaucoup de ces pauvres veuves n’avaient plus qu’une ou deux dents et plusieurs qu’un seul œil valide. L’une d’elles n’avait plus de nez (lèpre ?).
Tous les hommes étaient en djellaba avec un turban souvent mal entortillé, un certain nombre avec un bâton en guise de canne. Je n’osais pas prendre de photo de ces gens assez miséreux assis silencieux, un peu raides et intimidés au bord de la piscine, un univers si différent du leur. On les fit déjeuner puis deux chanteurs entonnèrent ce que je suppose être des rengaines de leur jeunesse et ils frappaient des mains en rythme, déjà plus détendus et heureux de cette sortie exceptionnelle. Ensuite ce fut le goûter et la distribution de cadeaux…utiles, chaussures pour les hommes, collant bouffant pour les femmes. Ils me paraissaient vieux mais n’étaient que dans la soixantaine, usés par le travail de la terre sans mécanisation.
Les organisateurs ne parlaient qu’arabe et les invités venaient de quatre paroisses proches de Samalout. J’ai tenté timidement une première photo de trois participants en la leur montrant. Ils étaient ravis et je me suis enhardie. Les femmes se laissaient aussi photographier et j’ai pris 150 clichés de beaux visages aux sourires édentés. Tous et toutes me réclamaient et je devais leur dire « badine » (après). Ils en redemandaient et, étant redescendue sans ma caméra, j’ai dû remonter la chercher. Finalement, j’ai tout transféré sur la clé USB d’un des animateurs et donné cinq euros pour que chacun et chacune puisse avoir une photo de lui ou d’elle. Je crois leur avoir fait très plaisir en m’intéressant à eux et en les prenant en photo. Ils sont repartis heureux.
Pour en revenir aux cartes, la communication a bien évolué et, grâce à Internet, vous avez reçu beaucoup plus d’information sur ma vie ici que sur une carte !

Mariam, une élève de 14 ans nous a invités à déjeuner chez ses parents à côté de l’école. Tous les deux médecins dans la quarantaine, ils ont fait construire leur maison de 3 étages entre deux immeubles en 2004. Au rez-de-chaussée, Farida vient de fermer son cabinet de dermatologue et travaille maintenant à l’hôpital copte. Il y avait trop de risques pour une femme copte (« razzia », prise en otage,..). Son mari possède une clinique toute proche. Ils possèdent un appartement au Caire et un autre à El Minia, la capitale de province (dont les rues sont asphaltées) et ont trois enfants.
Ils des cousins à Paris, médecin et restaurateur..
Lassés des tracasseries faites aux Coptes, ils ont émigré au Canada, à Vancouver, mais ils n’y ont pas trouvé un bon travail (lui parle très peu anglais) et, surtout, Mariam n’a pas supporté l’ostracisme dont elle se sentait victime (en tant qu’ « arabe » puisqu’Egyptienne) alors que les Coptes se considèrent comme des descendants des Egyptiens de l’antiquité dont le pays a été envahi et colonisé par les Arabes musulmans.
La voyant rentrer en larmes chaque jour de l’école –où, au moins, elle a appris l’anglais- ses parents ont décidé de rentrer à Samalout et d’y reprendre leurs activités malgré la situation difficile.
Mariam nous confie que, plus jeune, elle ne pouvait, en tant que fille, faire de la bicyclette que sur le terrain vague de l’école. La terrasse de la maison, d’où on aperçoit la ville avec une mosquée et un autre club à piscine, est équipée d’une grande cage où étaient élevés poules et canards avant leur départ. Voilà pourquoi on entend tant de coqs chanter à des heures indues depuis notre repaire.
Nous sommes très bien accueillis avec du thé comme apéritif puis un plantureux repas auquel les parents ne touchent pas, jeûne oblige. C’est méritant de la part de la maîtresse de maison de nous avoir préparé un tel festin (plusieurs viandes, différents riz, une soupe, des sauces) sans pouvoir y toucher, pas plus que leur fils de 15 ans.
Dans le salon cossu aux lustres chargés, les seuls tableaux sont la photo de mariage, celle de l’ancien pape copte Shenouda III qui le fut plus de 40 ans, un grand crucifix et des images pieuses, certaines
collées sur les meubles et dur le chambranle d’une porte. Nous sommes repartis ravis après avoir vu les photos de mariage et de baptême de la famille et reçu chacun un chapelet (identique à celui des catholiques). Au cas où, j’avais apporté des petits cadeaux de France.

Pendant l’Avent il y a un chœur d’enfants a l’office et leurs voix stridentes dans un micro poussé à fond cassent les oreilles. Les moments de silence sont rares entre la scierie dessous, les « destructeurs » de terrasse à côté, les concerts décalés des muezzins avec leur long commentaire du Coran du vendredi, les coqs, les chiens, les chats, les pétards des mini-feux d’artifice chaque soir, les réunions de jeunes au club sans oublier le train du Caire à Louxor qui siffle quand il passe au bout de la rue à toute heure et, bien sûr, les classes où les profs crient et les élèves répètent en chœur.
Les seuls qui se sont enfin presque tus depuis deux jours sont les moustiques devenus trop faibles. Quel soulagement de ne plus avoir à faire dix fois par soir l’inspection des murs et des recoins pour débusquer les traites nous narguant sur l’écran de l’ordi ou dans notre assiette mais si lestes. Chaque matin, Bernard et moi échangions le nombre de trophées nocturne et aussi les échecs !
Côté bruit, il y a cependant du progrès à ma demande. Les enfants disent « bonjour » calmement et
Emad fait des efforts pour ne plus commencer ses cours en hurlant pour s’imposer. Mais il oublie vite de se maîtriser à la première incartade d’un élève. Mariam nous a confié qu’elle supportait très mal les entrées agressives d’Emad dans sa classe (d’élèves très difficiles) et regrettait les méthodes de Demyana. Lui est assez rustre et veut s’imposer, tâche difficile car il a tous les grands élèves en charge et que la majorité le dépasse en taille et corpulence. Il gère aussi, et bien, les débutants tandis que sa collègue s’occupe des faciles, de 9 à 12 ans. Sa collège use de la règle plate sur les mains.
Ashraf, le Copte installé à Limoges par qui nous sommes venus ici, est originaire de Samalout et y passe quelques jours venant assurer un cycle de conférences en Egypte. Nous lui avons présenté le bilan détaillé de notre expérience et nos suggestions qu’il traduira à Madame Neween, la directrice, dont il vient de nous apprendre que Neween est seulement son prénom. Celle-ci insiste pour que nous revenions l’an prochain. Nous n’avons dit ni oui, ni non mais « inch’allah » car c’est un volontariat prenant et fatigant, parfois décourageant.
Est-il même utile ?  Sur plusieurs points certainement : cela apporte un soutien aux Coptes de voir qu’ils ne sont pas oubliés, aux enfants de cette petite ville une ouverture vers l’extérieur, aux plus jeunes une formation structurée en français mais pour les plus de douze ans, les bases manquent et nous sommes inutiles pour seulement imposer la discipline. Nous constatons avec plaisir que maintenant les cours sont propres après les récréations et que les enfants ramassent leurs emballages d’en-cas. Une classe est chargée à tour de rôle de jeter ce qui traîne après la pause. Pourvu que cela dure !

Plongé dans Wikipédia, Bernard a préparé un guide précis de prononciation du français. Nous avons aussi établi un dossier de recommandations pour les profs de français. En le passant au crible avec eux, nous avons découvert leur incapacité à comprendre notre vocabulaire et nous remplaçons les « en sorte que » par « pour que » et « l’assimilation » par « savoir bien », etc…pour être sûrs qu’ils « intègrent » (mot inconnu) correctement nos recommandations, ce qu’ils n’ont pas fait l’an dernier par manque de compréhension. Bernard utilise un langage d’entreprise qui les dépasse !
Ashraf a proposé qu’ils traduisent ce texte en arabe et il le leur corrigera : bon exercice. J’ai terminé un travail sur les « e » ouverts et fermés (ex : neuf et ne), de même pour les « o » (ex : Paul et pôle) et Bernard et moi découvrons les difficultés du français, devant souvent vérifier les accents « é » et « è » dans le dictionnaire ou les grammaires que nous avons prudemment apportées.
Je suis aussi arrivée à répertorier plus 700 expressions imagées et 225 racines grecques.
Nous n’avons pas chômé pendant notre temps ici et, malgré quelques siestes au soleil, ce ne fut pas des vacances mais un vrai travail à temps plein. Nous rentrons sans être reposés. Je pense que notre collaboration fut fructueuse et qu’être deux nous donna une bonne émulation. Bernard se chargeait des mises en page et insistait sur son côté cartésien et pragmatique alors que je m’attachais à chercher la précision et à me mettre à la hauteur des destinataires de notre travail.
Tandis que je termine cette chronique finale, je suis seule et sur le point de rentrer en France. Bernard est parti dimanche directement à l’aéroport du Caire en taxi. Il en sera de même pour moi.
J’espère que ma petite chronique aura intéressé ses lecteurs.

Chantal Barre
       Samalout 16.12.2014

Petite chronique égyptienne 2015

Petite chronique égyptienne 2015



(écrit le 5 décembre 2015)

Déjà j’en suis à la moitié de mon séjour 2015 à Samalout et je n’ai pas vu le temps passer. Après quelques jours avec Bernard, l’autre volontaire, qui m’a transmis tout le travail qu’il a effectué, je me retrouve seule et il y a beaucoup à faire. C’est assez fatigant et, à ma grande surprise, je dois souvent faire une sieste vers 16h30 pour pouvoir continuer le travail de préparation le soir.
Il y a 36 cours de français par semaine dont la moitié dure 40 minutes et l’autre 1h 20. Comme ils se superposent parfois, j’ai renoncé aux classes chahuteuses des 13-15 ans et je me concentre sur les classes primaires pour les entraîner à bien prononcer les u, e, é, è et à ne pas dire i pour e et é pour a comme en anglais et sur la formation des professeurs. Le prof qui bénéficie depuis 3 ans de l’aide des bénévoles a fait de grands progrès en conversation et en compréhension. L’autre prof de l’an dernier est partie et va aller vivre à Dubaï après son mariage en avril. Comme il y a de nouvelles classes ouvertes, deux jeunes ont été engagés. Ils sortent tout juste de l’université où ils ont appris la grammaire et la pédagogie, à base de cris, d’oreilles pincées et d’envois au coin, bras levés, pour obtenir un minimum de discipline.
Ils ont tout à apprendre pour comprendre et parler. « T’as compris ? » : la réponse est toujours « d’accord » mais même ces 3 syllabes, il a fallu les leur décrypter ! « J’aurais pu dormir », ce n’est pas facile à décortiquer et pourtant ils enseignent bien le verbe « pouvoir » au présent. Mais ils progressent car ils sont pleins de bonne volonté et restent après la sortie de l’école (à 14h) jusqu’à 16h pour que je leur fasse répéter des phrases que souvent ils ne comprennent pas, expliquer et faire de la conversation.
C’est méritoire de leur part car l’un d’eux a une heure de trajet pour rentrer chez lui et n’a rien mangé depuis la veille au soir tandis que l’autre doit payer son retour en tuc-tuc (taxi à trois roues) car elle manque ainsi le bus scolaire gratuit. 
Bernard seul et lui et moi, cette année et l’an dernier, avons enregistré des heures de lectures à écouter et répéter. Il a donné à l’équipe un lecteur de CD et de clé-USB tandis que tout notre travail oral et écrit est enregistré sur les clés des trois professeurs. Bernard a apporté des dictionnaires et un superbe livre de phonétique avec CD mais ils n’en sont pas là. J’explique les dessins des mouvements de la bouche et une de mes cousines m’a passé une méthode que j’utilise.
Les 6-8 ans prononcent très bien mais, comme ils répondent collectivement, seulement quelques-uns reconnaissent vraiment la lettre correspondant bien au son. Comme vous voyez, j’ai de quoi faire jusqu’à Noël sans compter des classeurs individuels à préparer pour chaque prof avec des montages, répertoires, photocopies. Heureusement, Bernard a déjà fait une bonne partie du travail.
Maintenant, l’école a tous les éléments pour que les profs s’entraînent et Bernard a enregistré oralement les livres d’apprentissage de tous les niveaux (un travail énorme) et la directrice envisage d’en graver un CD pour les élèves. Nous utilisons la bonne vieille méthode Boscher pour débuter.
Coté distraction, un soir, il y a eu trois mariages. Le premier, plutôt modeste, à la cathédrale, avec certains invités en djellaba et turban puis la fête ailleurs, fut suivi de celui de la fille (pharmacienne) de la directrice de l’école. La foule était beaucoup plus chic avec chaussures et robes ornées de strass et de broderies scintillantes moulant les corps rebondis de la plupart des femmes et complets brillants et deux ou trois belles djellabas pour les hommes avec peu de musulmans. J’ai bavardé avec une jeune femme entourée de ses cinq enfants dont on ne voyait que les yeux et les mains ornées de bracelets.
Les invités ont défilé pour féliciter les mariés et leurs parents avant de partir  pour la fête à El Minia, le chef-lieu de la région à une vingtaine de kilomètres de Samalout.
La cérémonie assez courte et sans messe se déroule dans l’église fort décorée. Les bancs sont parés de fleurs artificielles tandis que les écrans, qui diffusent habituellement les paroles de chants religieux, projettent une vidéo montrant les jeunes mariés dansant et s’amusant avec leurs amis loin d’un contexte sacré.
Les 4 palmiers plantés entre l’église et l’école brillent de guirlandes allumées et, dessous, des projecteurs éclairent une crèche grandeur nature avec déjà les rois mages et le petit Jésus, un cheval et un troupeau de moutons. A quelques mètres de là, devant le palais de l’évêque, il y a la crucifixion de même style sulpicien avec tous les personnages et quelques gardes romains au milieu de la pelouse.
Pour sa fille, la directrice avait déjà organisé autour de la piscine, lieu de rencontre apprécié, une fête et d’immenses banderoles à décor de cœur géant avec photo du jeune couple ornaient les grilles à mon arrivée ici.
Pendant ce temps un troisième mariage, célébré dans une autre église, avait sa fête au « club » autour de la piscine où les tables et chaises en plastique avaient été recouvertes de housses en tissu brillant et de gros nœuds. Comme d’habitude, les fleurs dessinées en guirlande et le décor courant le long des balcons étaient allumés comme pour Noël.
Il y a aussi eu des ordinations de prêtres coptes avec un repas très apprécié de la foule mais j’étais en cours et n’ai rien vu sauf l’attroupement au buffet et tout bien rangé une heure plus tard. Seules traces visibles, quelques assiettes flottaient encore dans la piscine bleue. Pour ces occasions, les cuisiniers se surpassent et présentent le buffet coiffés d’une haute toque de cuisinier en non-tissé et d’une veste blanche qui en imposent.
L’an dernier, Bernard et moi étions intrigués par la démolition d’une agréable terrasse avec des moyens si rudimentaires que nous n’en avions pas vu la fin. Le résultat est une réussite qui a dégagé la vue entre le « club » autour du bassin et la cathédrale, élargissant ainsi l’espace. La terrasse transplantée devant l’école est mieux placée et le panorama quand je sors de ma chambre (la même que l’an dernier) en bénéficie.
La pelouse, faite de carrés d’herbe importés, les nombreux bacs de plantes souvent épineuses, les pots de maigres bougainvillées et d’arbustes, quelques petits arbres aux troncs travaillés en tresse rendent le décor agréable et sont arrosés avec soin. On est en train d’installer une pompe à eau au milieu de la pelouse. Après chaque récréation et chaque fête, où les repas sont servis dans de la vaisselle jetable, les assiettes en plastique, gobelets, couverts et emballages de biscuits jonchent le sol et flottent ou disparaissent dans la piscine.
Une armée de femmes de ménage en tenue verte s’active pour ramasser tout cela et ranger très rapidement. Elles passent leur temps à laver les sols et les escaliers, qui sont  en marbre ou en carrelage, à grande eau et j’ai toujours peur de glisser en me déplaçant d’un cours à l’autre. Les enfants se ramassent vite mais, l’autre jour, un brave ouvrier n’arrivait pas à se relever ! Je suis étonnée de n’avoir encore vu aucun enfant tomber dans la piscine autour de laquelle ils courent sans aucune protection. J’y assiste au cours de natation de quelques jeunes filles moulées dans leur maillot gris allant de la capuche aux chevilles, si elles ne choisissent pas de rester en collant et pull. Le corps est bien couvert mais les formes de ces naïades sont très suggestives !
Ce week-end, il y a un rassemblement de chefs scouts, certains chauves et grisonnants. Ils chantent tard dans la nuit et font des jeux et suivent une formation. Plusieurs sont des jeunes femmes dont quelques-unes musulmanes avec un foulard rouge ou blanc sur la tête. Il semble que ce mouvement soit encore bien vivant en Egypte. Les scouts ont installé leurs tentes sur le court de tennis qu’ils ont enfin balayé de tous les détritus et du mobilier cassé qui y traînaient depuis l’an dernier. Ils ont mis de confortables matelas pris dans le dortoir où dorment les guides, Les chemises des scouts sont toujours impeccables et couvertes d’insignes.
Les scouts de l’école viennent parfois avec cet uniforme plutôt que celui de l’école qui, du reste, varie selon les classes et doit représenter un budget important. Il y a chemise, pantalon, blouson, gilet, tenue de sport,…et la couleur varie selon les classes et les âges. Les jeunes musulmanes ont la tête voilée dès l’arrivée de leurs règles : tout le monde est ainsi informé !
Le court de tennis n’est jamais utilisé et c’est mon lieu de promenade, excellent observatoire de la grand-rue avec son revêtement en terre battue, ses détritus, ses voitures à âne et ses tuc-tucs, sa boutique Adidas poussiéreuse et son marchand de fruits sans oublier quelques camions brinquebalants et klaxonnant.  De là, je vois une forêt de paraboles sur des immeubles parfois tout neufs ou souvent délabrés avec des balcons en béton où sèche le linge, beaucoup de bâtiments en construction de briques qui n’ont pas bougé depuis l’an dernier (faute de crédits ?), le  stade remis à neuf avec son sol émeraude et douze minarets de mosquées, dont deux en construction, qui s’ornent de tubes fluorescents verts le soir quand la nuit tombe vers 17h.
Coté bruit, les appels des muezzins dès 3h30 scandent les heures (9h30, midi, 14h40, 17h, 18h40, etc…) avec de légers décalages créant pas mal de cacophonie. La nouvelle cloche du campanile de la cathédrale ne fait pas le poids en appelant seulement à la messe vendredi et dimanche. La nuit, les chiens gardiens d’immeubles inachevés ou errants font des concours d’aboiements tandis que les nombreux chats en liberté se battent en miaulant.
Il y a aussi les sifflements du train à toute heure car le chemin de fer nord-sud le long du Nil n’est pas loin. Et chaque soir, l’un ou l’autre tire quelques feux d’artifice que je ne vois pas forcément mais qui résonnent fortement entre les bâtiments, me faisant sursauter au premier coup. Dans la journée, la scie circulaire et le marteau dans l’atelier de menuiserie situé dessous ma chambre sont très actifs. Une équipe y termine de fabriquer tous les bancs de la cathédrale d’en haut pas encore aménagée : tout se passe dans la belle crypte avec son baptistère en marbre sculpté et des scènes en mosaïque.
Chaque banc est décoré de croix et c’est du beau travail, tout comme toutes les portes en marqueterie et leurs entourages en bois sculpté qui sortent aussi de l’atelier. Le vernissage du bois se fait en plein air et l’odeur remonte à ma fenêtre. L’équipe travaille 7 jours sur 7.
Le bruit de la musique lors des fêtes, les cris aux récréations et les ânonnements hurlés collectivement des petits en classe font de l’animation et j’ai du mal à entendre les petits oiseaux perchés sur le dessin en fer forgé haut de trois étages du Bon Pasteur qui veille sur ma chambre et où ils ont fait leurs nids.
Cette jolie sculpture orne une façade du palais épiscopal.
Hier, j’ai voulu mettre le nez dehors par un des sept portails du complexe club-école-cathédrale qui était entrouvert mais je n’avais pas fait deux mètres qu’on m’a demandé de rentrer (par sécurité). Je ne peux donc pas aller à l’église catholique des Franciscains. Tony, un gardien qui ne parle qu’arabe, m’a proposé de m’emmener à El Minia mais j’ai reçu un veto de la directrice. Il m’a offert des chewing-gums à l’encens en forme de cœur ! Un goût bizarre ! Bernard, lui, a été autorisé à sortir et s’est baladé seul dans la rue mais ni longtemps ni loin.
Hier j’aurais pu dormir si on m’avait prévenue que c’était la journée du sport. Mais les jeunes profs n’auraient pas su me le dire et le prof confirmé n’était pas là. La nuit précédente, son premier enfant était né et il a pris un seul jour de congé. J’ai souvent rencontré Irène, sa souriante épouse, et Bernard est allé chez eux. Installés au 1er étage de la maison des parents, ils ont le confort moderne. L’étage au-dessus est en construction pour le frère cadet du prof. C’est ainsi que beaucoup de terrasses sont en attente d’un niveau supplémentaire, lançant vers le ciel leurs tiges de fer pour futur bétonnage.
La journée du sport, ce sont un trampoline et des grosses structures gonflables pour les plus petits et des compétitions et matchs sportifs pour les autres. Une série de coupes dorées ornée de l’effigie d’un prêtre connu est remise aux vainqueurs qui partent leur trophée sous le bras.
De nombreux parents viennent admirer les exploits de leur progéniture et pas mal de femmes sont voilées, parfois ne montrant que les yeux. C’est l’occasion pour la petite boutique de l’école qui vend des pacotilles, articles scolaires, jouets, équipement sportif et biscuits de faire ses affaires. Poupées pour les filles et armes sophistiquées sont le choix des bambins avec masque de père Noël et ballons à oreilles de lapin qu’un employé gonfle à l’hélium.
J’ai voulu acheter de la colle mais tous les tubes étaient défectueux ou sans capuchon. Les feutres pour tableau blanc utilisés à l’école sont rechargeables avec l’encre adaptée. Aujourd’hui j’ai confisqué un feutre indélébile avec lequel un enfant dessinait tranquillement sur sa table. Il le récupérera quand il aura effacé ses gribouillis, je ne sais avec quoi. A la suite de notre remarque sur l’usage des mouchoirs en papier fournis par les élèves, seul moyen d’effacer l’an dernier, tous les tableaux ont été équipés d’une éponge au bout d’un élastique mais plusieurs ont déjà disparu.
Bernard et moi avions aussi pensé préférable que les profs de français ne soient pas isolés des autres comme ils l’étaient l’an dernier, ne se parlant guère. Maintenant ils sont avec les profs d’arabe des petites classes, des jeunes femmes souvent voilées qui s’interpellent à voix haute et ça « caquète » beaucoup, ce qui n’est guère favorable au travail personnel et à l’écoute de textes à répéter. La sonnerie de leur téléphone est …l’appel du muezzin !
Comme le prof ancien, je regrette personnellement le calme de l’isolement mais l’ancien bureau des profs de français est devenu classe de religion musulmane, ce qui est sans doute stratégiquement mieux pour cette école copte.
Coté boutique, un petit bazar donne à la fois sur le complexe et sur la rue. Je peux y trouver de la nourriture (biscuits, riz, thé, etc…), de la vaisselle, des ustensiles de cuisine, de articles de ménage, du papier toilette et des serviettes éponge et Bernard y a acheté des porte-manteaux et une bouilloire.
Chaque jour, les cuisiniers préparent des sandwiches, des rations de plats cuisinés, des patates douces et des bols de fruits (oranges et grenades) qui sont vendus aux enfants pendant les récréations, l’une vers 10h30 après 4 cours, l’autre à midi 45 après les 3 suivants et avant les deux derniers. Ils nous préparent aussi un repas. Je mange seule dans la grande salle à manger (à l’occasion salle de projection) entre une icône géante de la Cène et une nature morte de fruits, face à la baie vitrée donnant sur la piscine et à travers laquelle les enfants en récréation me regardent comme une bête curieuse tandis que j’observe l’animation de ce temps de courte détente.
Le déjeuner n’est pas varié : riz au vermicelle et boudin de viande hachée ou poulet (très) grillé, rondelles nature de tomate et de concombre, orange pré-coupée en quartiers plus pain et eau en bouteille. Ayant demandé moins de riz, j’ai maintenant parfois droit à une sorte de moussaka de pâtes et à une soupe de tomate où baignent des légumes. J’apprécie de varier un peu, d’autant plus qu’ils savent préparer des aubergines sautées, des frites, des beignets de légumes et autres bonnes choses pour les buffets. De ma chambre, j’ai aussi le bruit intense des ustensiles de cuisine !
Le soir elle est fermée. Comme l’an dernier, j’ai apporté un thermoplongeur, ancêtre de la bouilloire électrique très efficace et peu encombrant. Le matin je mange un yaourt et je me fais du thé et le soir, je me prépare une soupe déshydratée apportée de Paris et je déguste  un pain au lait fourré de crème de gruyère. Pour varier l’ordinaire, j’ai apporté des rillettes de saumon de France et on m’a donné un stock de très grandes galettes, genre fines crêpes séchées que j’aime bien.
Pour la St-Michel (en novembre ici), Bernard et moi sommes retournés comme l’an dernier au village de la directrice, accueillis par sa mère, qui cuisine ces galettes et nous en a offert un énorme sac, et la famille de son frère, le maire du village. Contrairement à l’an dernier, nous sommes allés tardivement au sanctuaire mettre une bougie et toucher la peinture murale du saint terrassant le dragon et la foule s’était déjà éparpillée dans les ruelles avoisinantes. Dans leur maison familiale où un des fils est mort à 26 ans, sa chambre a les murs couverts de suintements d’huile inexpliqués : un miracle copte.
Aujourd’hui vendredi (dimanche pour l’Egypte), je suis allée à la cathédrale où l’office dure 2 heures ½ mais j’arrive à mi-course, assez tôt pour voir la communion distribuée aux hommes d’un coté, aux femmes de l’autre, tous déchaussés et chaussures en bataille sous les bancs. Les enfants, endimanchés et dispensés de cette formalité, courent en tous sens avec un paquet ouvert de chips à la main. Après la distribution de pain béni (rompu en morceaux dans une très grande corbeille à couvercle) à tous, nous subissons l’abondante aspersion d’eau bénite  que l’on reçoit les paumes ouvertes vers l’officiant qui passe dans les allées. Souvent une femme réclame le reste du pichet pour le boire ou le faire boire à son enfant.
Ensuite, on pend autour du cou des enfants de la crèche l’image d’un saint homme copte ou d’un évêque attachée par un ruban  et  des jeunes femmes leur racontent des histoires saintes ou merveilleuses, je ne sais, ou font des farandoles en guise d’initiation religieuse. C’est ainsi que j’ai découvert un nouvel espace dans ce complexe bordé par de hauts murs où je vis : un jardin fermé et bien fleuri derrière l’école avec des tables et des sièges découpés dans des rondins de bois et des troncs d’arbre bruts qui donnent un aspect sauvage à cet espace reposant accessible par le jardin d’enfants, lui aussi bien décoré et pourvu de jeux, balançoires et toboggans.
A force d’aller dans tous les recoins du territoire limité auquel j’ai accès, j’ai aussi découvert derrière la cathédrale une allée de bancs de pierre qui sont en alvéoles et semblent très appréciés des adolescentes qui s’y retrouvent ou viennent y étudier au calme.. Je n’ai pas encore fini de découvrir !
Si vous avez lu cette chronique jusqu’au bout, bravo. Si elle vous a intéressée, j’en suis contente. Merci pour votre attention. Je ne sais pas si j’aurai le temps d’écrire à nouveau avant mon départ car le travail m’accapare beaucoup. Vous verrez bien.



Suite et fin (écrit le 19 décembre)


Les neuf cours quotidiens qui s’enchaînent sont juste interrompus par deux courtes récréations d’un quart d’heure où les enfants se précipitent, quelques pièces de monnaie à la main, acheter des chips ou des bols plastique de plats cuisinés (pâtes, riz, hotdogs,…). A force de manger des sucreries et des biscuits salés, un certain nombre d’enfants sont en grand surpoids : il y en a plusieurs dans chaque classe !
Ils laissent le sol jonché de sachets vides et vaisselle sale même si les nombreuses poubelles installées partout sont vite remplies. Malgré tout, c’est bien plus propre que la rue grâce à une armée de plus de trente balayeurs et balayeuses. J’habite dans un espace de beauté et de propreté au milieu de cette ville et de ce pays.
J’ai mis à part mes bouteilles en plastique car certains les récupèrent pour gagner quelques sous. L’Egypte en est aux balbutiements du recyclage et, seules, les personnes cultivées m’assurent que cela existe. Ceux à qui j’en parle ont du mal à croire qu’on peut fabriquer une polaire avec quelques bouteilles recyclées ! On distribue généreusement les sacs en plastique, les canettes et autres emballages. Les conteneurs dans la rue débordent. Les vide-t-on jamais ou en brûle-t-on le contenu ? J’en doute. Et les chaussées sont pleines de détritus variés.
Entre les cours où je saute d’un niveau à un autre et d’un professeur à l’autre, la formation des profs et le travail de mise en forme de dossiers et d’outils pour eux, je ne pensais pas avoir le temps d’écrire encore, d’autant plus que je passe mes soirées et mes jours libres à travailler pour eux.
Dans chaque classe, il y a plusieurs enfants aux yeux clairs et parfois des blondinets. Une petite fille ressemble beaucoup à moi au même âge….mais je n’avais pas, comme elle, de jolis nœuds de dentelle ornés d’un petit chat en plastique pour tenir ma couronne de nattes ! Dans l’école, beaucoup ont le teint très clair et je suis frappée du nombre de personnes vues ici qui passeraient inaperçues en France.
Elles sont parfois un peu basanées mais je n’ai pas vu un seul Noir ou métis.
Nous sommes à 250 kms du Caire, région déjà considérée comme la Haute-Egypte bien qu’encore dans le nord du pays. Les élèves appartiennent à une classe sociale plutôt aisée et les adolescents ont presque tous des téléphones portables qu’on leur supprime avant les cours.
Tony, mon pourvoyeur en chewing-gums à l’encens, me fait des déclarations insistantes pour rire par l’intermédiaire d’un jeune traducteur et de sa fiancée, une gentille rousse au teint d’Anglaise sans ascendance le justifiant…dont on croirait la petite sœur Irlandaise !.
Comme plusieurs jeunes Coptes qui me l’ont exprimé, il rêve de voyager ou de quitter l’Egypte musulmane. Ce chauve sympathique et plaisantin m’a même proposé le mariage ( !!!) bien que j’aie le double de son âge ! Je lui ai répondu qu’après avoir réussi à sauvegarder pendant si longtemps ma liberté, premier principe de la devise française, je n’allais pas à mon âge, aliéner mon indépendance ! Décidément, des offres de mariage à une septuagénaire, je ne m’y attendais pas… et pourtant…
Dès que la loi autorisant le mariage pour tous est passée, une amie marseillaise sans héritier, de dix ans mon aînée, ne doutant de rien, m’a très sérieusement aussitôt proposé par écrit de passer devant monsieur le maire. A l’idée de voir jeter des souvenirs auxquels elle est attachée, elle souhaitait que je recueille tous les objets qu’elle a rapportés de ses voyages aux quatre coins du monde…alors que je suis déjà assez encombrée de tous les miens. Et elle connaissait mal mes convictions !!!
Comme Tony ne dit pas un mot d’anglais mais a vécu neuf mois au Brésil, j’ai proposé qu’on échange en portugais mais il semble qu’il y ait vécu en milieu arabophone car il en sait encore moins que moi !
Dommage car il faut que je m’entraîne pour les prochaines escales en janvier au Brésil.
Grâce à lui et à ses traducteurs de fortune, j’ai passé plusieurs soirées sympas à beaucoup rire autour de la piscine. Il m’a offert en cadeau un porte-clés en forme de poisson sur lequel est écrit « Jésus ». J’ai appris qu’il y a un ticket d’entrée (0,60 euro, le prix de 3 stylobilles ici) pour accéder au « club » où les sièges et tables en bambou en piteux état de l’an dernier ont été remplacés par de solides fauteuils en plastique foncé imitation paille tressée d’un bel effet. C’est un havre de paix et de propreté dans cette ville et les familles viennent y pique-niquer et les amis se retrouver.
Je suis vraiment dans un joli décor même si l’entretien du matériel abimé laisse à désirer. Et cependant, il y a toujours des travaux : on vient de monter des échafaudages en bois le long de la façade du palais de l’évêque qui me semblait neuve. Par contre, l’échafaudage fait de bric et de broc avec des ficelles (comme les installations de scouts) me parait précaire. En ce moment, on vernit des tables rondes si grandes (plus de 2m50 de diamètre) qu’il est impossible d’en atteindre le milieu. Un soir, j’ai donné un coup de main pour montrer comment éviter les tapons de vernis que les « artistes » laissaient.
Comme nous approchons de Noël (célébré le 6 janvier par les Coptes), les décors kitch fabriqués en Chine fleurissent un peu partout : arbre de Noël surchargé de babioles et couronné d’un bonnet de père Noël, guirlandes et père Noël autocollants sur les vitres,…en plus des guirlandes lumineuses qui courent partout. Comme chez nous, quoi !
Hier, le jour de mon départ (j’écris dans l’avion du retour et je survole la Grèce entre la mer bleue parsemée de mini-îlots apparemment déserts et les sommets enneigés), un groupe de paysans âgés et pauvres étaient invités à une fête : bon déjeuner, chants qu’ils reprennent en chœur, goûter et distribution de cadeaux : vêtements, balais, ustensiles de cuisine et de ménage…qu’ils remportent dans des sacs et cartons portés sur la tête bien que souvent marchant péniblement, ils soient obligés de s’aider d’une canne.
Peu de couples, surtout des veuves habillées de noir et tête couverte d’un châle avec parfois une croix en métal, et des hommes dignes enturbannés et tous en djellabas. Je les avais photographiés l’an dernier lors de la même fête et j’avais demandé qu’on leur distribue à chacun sa photo, en laissant ce qu’il fallait pour les tirages. Hier, tout heureux, ils me reconnaissaient tous et me racontaient plein de choses que je regrette bien de n’avoir pu comprendre. Tous voulaient à nouveau être photographiés et j’ai de quoi faire une belle exposition de portraits de Coptes âgés ! En se voyant sur l’écran, ils étaient si contents qu’ils baisaient ma main ou…l’appareil de photo lui-même.
Revenons à l’école. Les jeux des enfants pendant les cours sont les règles en plastique souple qu’ils tordent dans tous les sens, les tiges internes des stylobilles qui servent de lance-boulettes de papier et les bracelets en élastiques dont certains que j’ai confisqués sont des serpentins de cinq mètres de longs, surtout appréciés des garçons de 8-10 ans.
L’indiscipline est grande : les enfants se balancent sur leurs chaises dont ils tombent ou qu’ils cassent, ils écrivent sur leurs pupitres au feutre indélébile, y font de la gravure sans qu’on leur fasse des remarques. Certains adolescents ne cessent de parler pendant tout le cours alors que d’autres essaient de suivre les explications. Les bureaux, souvent de tailles et de styles différents dans la même salle, ne sont jamais alignés mais installés dans tous les sens, certains le dos au tableau (…et on m’a demandé de ne rien changer). Alors les enfants ne voyant rien se déplacent sans arrêt.
La plupart ne sont pas assis correctement sur leur chaise : leur épais sac (pire qu’en France, encore plus gros) étant dans leur dos contre le dossier, il ne leur reste que dix cm pour s’asseoir. Ceux qui l’accrochent sur leur dossier ont des sièges déséquilibrés par le poids qui se renversent et ils doivent se lever souvent pour aller y prendre cahiers et crayons. Comme ce fouillis de tables en tous sens rend impossible de circuler entre les élèves pour corriger leur travail, ceux-ci apportent leurs cahiers au prof dans un beau chahut.
Mais, en commençant ce texte, je voulais d’abord vous parler d’une joyeuse fête a laquelle j’ai été autorisée à me rendre. En pleine semaine, un mardi, Emad, le prof de français chevronné, fêtait en famille les huit jours de son nouveau-né Karas dans sa maison dans un village proche de Samalout où une voiture de l’école m’a conduite. Quelques kilomètres d’autoroute neuve et voici le village constitué de plusieurs rues parallèles, en terre battue comme en ville. Celle où habite Emad est obstruée par le camion des ouvriers qui surélèvent la maison d’un voisin.
Celle d’Emad est aussi à plusieurs étages et fermée par une grille ouvragée. Le rez-de-chaussée est occupé par ses parents dont j’aperçois le salon aux murs de briques brutes plus ou moins cimentées et au canapé effondré ainsi que la cuisine rudimentaire avec un frigo. L’escalier, comme chez la famille de la directrice, est aussi laissé brut en attente de finitions qui ne se feront pas. Sur le palier, une grande affiche de Jésus grandeur nature nous accueille et je découvre l’appartement tout neuf du jeune couple.
On entre de plain-pied dans la salle-à-manger avec table et buffet-vitrine imposants, de lourdes chaises dont l’assise en tissu est tendue de plastique et un large espace où la famille semble apprécier de s’assoir par terre sur une natte. Dans le salon, il y a un ensemble de canapés neufs et confortables et dans la chambre, le lit en bois décoré est assorti à la coiffeuse. Le bébé qui n’a pas encore de lit partage celui de ses parents, enveloppé dans des couvertures. La salle de bain est carrelée et la cuisine est bien plus moderne que la mienne avec son plan de travail en marbre et sa série de jolis placards. La chambre d’enfant est peinte de couleurs pastel et des frises courent au bord des plafonds de toutes les pièces fraîchement peintes.
La réunion est très intime : les parents d’Emad qui ont à peine la cinquantaine, ses sœurs, l’une jeune mère de famille, l’autre âgée de 10 ans, les quatre sœurs de son père et des cousins germains. Quelques autres ne font que passer. Le père d’Emad est chargé de l’entretien d’un lycée, un cousin est peintre en bâtiment et son frère avocat. Comme tous les gens du village, cette famille cultive un lopin de terre où poussent des légumes.
Tandis que les tantes, assises sur le sol, enfilent sur une ficelle des graines de lupin et des pois chiches ramollis dans une bassine d’eau pour en faire des colliers qui seront offerts aux voisins, je visionne sur l’ordinateur d’Emad les films de ses fiançailles et de son mariage montés par un studio. Ils débutent avec des images de Jésus souriant ou en croix qui se mêlent à des cœurs avec photos des héros.
Pour le jeune marié, toute la fête se passe dans la rue devant la maison et tous les voisins y assistent. Les hommes seuls dansent avec des bâtons tandis que chez la jeune femme, les femmes se retrouvent entre elles. Les somptueuses robes de fiançailles et de mariage sont louées et les fiançailles se déroulent aussi dans la rue où on a installé une estrade, deux fauteuils et un dais au-dessus des fiancés qui assistent aux danses autour d’un plat de …henné ! Une arche décorée est enflammée et le jeune couple la franchit. C’est aussi ensemble qu’ils entrent dans l’église où ils sont couverts de courtes capes blanches brodées et reçoivent une couronne pour la cérémonie avec le prêtre qui sert aussi de mariage civil. Emad et Irène se sont rencontrés par Face book par lequel elle cherchait un professeur !
Nous avons déjeuné en plusieurs services autour de la table dans de la vaisselle en métal tandis que la porcelaine restait dans la vitrine, eux avec la main dans des plats collectifs, moi avec des couverts et mes assiettes personnelles. J’ai retrouvé le riz au vermicelle de mon quotidien agrémenté des pommes de terre du jardin et de poulet. Vers 16h on m’a proposé du riz au lait. Les Egyptiens consomment à chaque repas du riz.
Puis nous avons dansé sur des rythmes orientaux, je dis « nous » mais je manque d’entraînement pour la danse du ventre que les jeunes femmes exécutaient avec brio tandis qu’une joyeuse tante rebondie me donnait des leçons. Ce fut très gai car chacun voulait danser avec moi. A défait de progrès, je les ai fait bien rire. Le ridicule ne tue pas.
Grâce à Emad comme interprète, j’ai questionné les tantes, toutes ayant la tête enveloppée de voiles noirs et habillées de longues jupes sur des pantalons ou collants. J’ai noté que les femmes coptes ne montrent ni leurs bras ni leurs jambes, toujours en pantalon pour les moins de 50 ans et en jupe longue comme les musulmanes pour les plus âgées. Deux tantes d’Emad, entre 50 et 60 ans, ont été mariées à 12 ans, une autre à 14 ans. Le mari de l’une d’elles avait 16 ans, l’autre 22 ans. Une était maman à 13 ans. La cousine d’Emad attend son second bébé à 20 ans. Mais tout change et la génération actuelle n’est plus du tout tributaire de ses parents pour le choix du conjoint.
Après la danse, nous sommes passés à des rites. Le petit Karas est de bonne composition et n’a fait que dormir sans aucun pleur et pourtant il a été bien transbahuté. D’abord on a rempli une corbeille plate de cacahouètes et de bonbons sur lesquels on l’a déposé avant de secouer fortement la corbeille et le bébé dessus pour qu’il s’imprègne de la douceur des sucreries tandis que l’on agitait bruyamment un pilon dans un mortier en métal, de quoi réveiller un loir. Juste avant, une tante lui avait fardé ses paupières fermées de khôl noir, ce qui lui donnait l’air d’un pharaon.
Ensuite sa maman a dû tourner autour de la corbeille et enjamber quatre fois le nourrisson. Puis la corbeille portée à bout de bras, le bébé a participé aux danses, trimbalé dans tous les sens sans broncher. Après avoir fait tourner une coupe qui contenait un mélange de graines : blé, millet, maïs…,
on l’en a aspergé et le sol en était jonché. Puis on a donné aux invités des cornets remplis de pop-corn accompagné de quelques bonbons et cacahouètes et d’une carte faire-part décorée de bébés blonds. Deux énormes paniers de cornets attendaient d’être distribués dans la chambre du bébé encore vide.
Après cette sympathique journée dans une ambiance familiale, chaleureuse et bon enfant, vers 17 h Emad m’a raccompagnée en tuc-tuc. Nous sommes passés devant la gendarmerie en ruine après l’attaque des frères musulmans qui l’incendièrent en août 2013 faisant plusieurs morts. Dans la ville, des vaches et des ânes rentraient au bercail en soulevant la poussière au milieu de la circulation et les tas de détritus encombraient les bordures de chaussées en terre battue.
Samalout où j’habite est une petite ville qui a défrayé la chronique au point de susciter des articles dans « Le monde » parisien à deux reprises en 2015. Les carrefours principaux des rues poussiéreuses sont ornés chacun d’une tête géante de Néfertiti en plâtre coloré et un nouvel exemplaire fut inauguré en juillet. Cette copie était si laide que les habitants se sont révoltés et il a fallu la détruire, ce qui a alimenté des articles dans la presse jusqu’en France…avec photo ! A ce jour les carrioles et les tuc-tucs tournent donc autour d’un socle de pierres…en attente d’une plus belle effigie.
Mais l’évènement le plus grave, ce fut d’abord le massacre des jeunes Coptes décapités en Lybie en février : ils étaient tous originaires de cette ville ou des environs et leurs funérailles eurent lieu à la cathédrale de ce complexe. Plusieurs élèves de l’école sont des orphelins de cette tuerie et un des employés y a perdu deux de ses frères.
Un dimanche, j’ai aperçu dans la cour de l’école un rassemblement de jeunes enfants de 8 à 12 ans encadrés par des scouts. Ceux-ci font souvent le service d’ordre à l’entrée de la cathédrale ou lors de manifestations au club surveillant les bords de la piscine. Ce jour-là, ils organisaient une réunion pour les jeunes candidats au scoutisme et les scouts en grand uniforme couvert d’insignes les accompagnèrent au pas cadencé dans la grande salle de théâtre de l’école qui était plus que remplie, les scouts aînés faisant des doubles haies dans les escaliers. A ma grande surprise, l’évêque en personne est arrivé avec sa crosse, sa grande croix pectorale, sa belle barbe blanche et son bonnet orné de petites croix brodées (mais pas le turban habituel ni la mitre que revêt le prêtre pendant l’office).
Il a fait un petit discours, puis on a projeté une vidéo sur les réalisations des scouts et plusieurs enfants se sont exprimés au micro, semble-t-il pour dire leurs convictions.
On a apporté solennellement des drapeaux au son de tambours, fait le geste scout, pousser des cris genre «Baghera » à plusieurs reprises. Ensuite l’évêque a remis des diplômes qu’il venant de signer et   des coupes dorées de toutes tailles, enrubannées et surmontées de son effigie à des chefs scouts, garçons et filles, qui venaient les chercher sur l’estrade en baisant la main de l’évêque et en s’esquivant vite. Finalement j’ai quitté la salle pour aller déjeuner à 15h. J’avais oublié l’heure !
Ma dernière découverte dans mon complexe est une boulangerie-pâtisserie d’où proviennent les bons pains au lait frais qui me sont servis et que je préfère au pain local, une galette souple légèrement cuite directement sur le feu avec traces de brulé.
On y confectionne de superbes gâteaux aux décors artistiques dessinés au chocolat fondu et ornés de fruits astucieusement découpés et présentés en forme d’animal ou autre. On y prépare des biscuits sablés, des tartes, des gâteaux individuels orientaux et occidentaux, des croissants couverts de miel, des pains au sésame. Voir la camionnette pleine prête à livrer toutes ces merveilles donne l’eau à la bouche et on m’y a gentiment fait goûter.
J’ai aussi été conviée à l’anniversaire de Shery, la fillette de six ans de la sympathique directrice des études de l’école de langues, une musulmane parlant bien anglais. Cela avait lieu pendant une récréation dans la classe et ses professeurs étaient conviés. Un splendide gâteau avec l’effigie de l’enfant imprimée sur la crème était entouré d’assiettes en forme de cœur. L’enfant a été couverte de cadeaux mais, je ne sais pourquoi, boudait dans son coin et refusait de sourire au photographe ! Ses petits compagnons mangeant debout étaient tout barbouillés de crème fouettée.
Et ma chronique égyptienne 2015 se termine sur cette note souriante.
Je suis bien contente d’avoir pu la terminer dans l’avion. J’espère que vous avez eu l’impression de vous trouver en Egypte avec moi. Je ne sais pas si j’y retournerai bien qu’une coupure dans la vie parisienne ne m’ennuie pas et que les volontaires y fassent du bon travail. Maintenant, nous avons laissé tous les outils pour que les professeurs de français deviennent efficaces. C’est à eux de s’en servir au mieux. Alors on verra.
Inch’Allah !

Chantal Barre

           décembre 2015