Chronique de mon
séjour dans une école copte en Egypte (nov-déc 2014)
Premières
impressions de l’école copte
(11 nov 2014 )
Me voici
arrivée à Samalout sans problème et, la première journée scolaire passée, je
peux mieux voir comment va s’organiser ma vie ici. Maintenant à l’aéroport les
files d’attente et les contrôles sont tels que j’étais juste bien pour
l’embarquement sans même faire halte dans les boutiques ni flâner. Ma valise
pesant 24,2 kg
(23,5 kg
max autorisés !), j’ai dû transférer deux livres en bagage à main (plutôt
à dos) qu’on pèse aussi et qui ne doit pas excéder 12 kg !
Le
pilote était une femme à la voix douce et il y avait bien 15 passagers en
fauteuils roulants.
A
l’arrivée au Caire j’étais attendue par Bernard Sauvé, le Versaillais bénévole
rencontré l’an dernier, ingénieur retraité, et Emad, un jeune professeur de
français. Le taxi est vite parti vers le sud après une halte de ¾ d’h dans la
moiteur et l’attente d’un chargement à emporter (entraide copte), ce qui nous a
fait arriver vers 1h du matin à
destination.
Le
complexe récemment construit est entouré de murs et hautes grilles et se
compose de l’école du New Testament (NTS), de la cathédrale presque terminée
(visitée en janvier), de la maison (plutôt palais) de l’évêque copte (rencontré
aussi, parlant bien l’anglais) et du « club » où une très grande et
belle piscine est bordée de terrasses et dont les annexes sont des salles de
sport, un restaurant et des studios nommés « chalet » car ils ont un
toit pointu !
C’est là
que je suis logée avec sortie surplombant la piscine et fenêtre donnant sur le
palais épiscopal !
Une fois
les draps douteux changés et le frigo rempli d’eau en bouteilles, de yaourts et
de produits divers que j’ai prudemment apportés pour varier des crèmes de gruyère
et de la confiture qui font l’essentiel des repas pris en chambre, tartinés sur
du pain de mie, je suis bien installée.
Les
rideaux trop longs ont des accroches tarabiscotées dorées et serties de faux
brillants assorties aux poignées de l’armoire. Il y a un chauffe-eau, l’air
conditionné, une télé plate et un lecteur de DVD et j’ai obtenu une table et
une chaise qui manquaient ainsi que d’avoir deux draps au lieu d’un !
La nuit,
à part les bagarres de chiens, chants de coqs et de muezzins, je suis assez
isolée du bruit de la rue où il y avait encore toute une vie nocturne à notre
arrivée. Dans la journée, les cours de récréation, les travaux de l’atelier de
menuiserie sous ma chambre et des maçons s’arrêtent assez tôt. Deux boutiques
et un supermarché ont un accès direct depuis l’école, donc pas besoin de sortir
de ce complexe agréable d’où j’assiste à un joli coucher de soleil rose et
bleu. Malgré le manque d’arbres, la piscine bleue bordée de fausse herbe et ornée
de céramiques colorées et de nombreuses jardinières en balcon et ce patio
entouré de hautes arcades font un décor ouvert et plaisant.
A midi, la cuisine nous prépare un
repas chaud que je mange dans une salle-à-manger vide avec Bernard. Le petit-déjeuner et le dîner, je les prends
seule dans ma chambre avec les réserves du frigo et j’ai les après-midi libres
à moins de demandes particulières des professeurs..
Les
cours commencent à 7h45
mais les élèves arrivent dès 7h
(ramassage scolaire) et ils se terminent à 14h.
Vendredi (musulman) et dimanche (copte) sont jours de congé. Une majorité
d’élèves et de professeurs sont coptes. Toutes les femmes et les fillettes sont
en pantalon. Quelques maîtresses musulmanes sont en robe longue et voilées.
Dans les classes Mohamed et Akim sont à coté de Mikael et Mark. L’uniforme,
pantalon marron et chemise beige à carreaux, est le même pour tous avec des
fantaisies parfois. Toutes les fillettes ont une longue tresse dans le dos.
Les
professeurs sont jeunes (moins de 35 ans) et les 400 élèves du primaire et du
collège sont divisés en deux groupes, l’un d’eux ayant les cours scientifiques
en anglais, l’autre en arabe. L’école étant récente, la première promotion
arrive en seconde. Il y a une majorité de garçons mais les classes sont mixtes.
Dans les classes les bureaux sont rangés par petits groupes de 4 à 6 élèves et
certains se tournent donc le dos. Respectueusement on frappe aux portes avant
d’entrer.
La
journée commence à 7h30 par
un rassemblement en rangs et l’hymne national ainsi que des exercices de bras,
pivotements, etc…plus ou moins ordonnés et dirigés au haut-parleur accompagné
de tambours. Ces exercices ont aussi lieu à la fin des deux récréations vers 10h30 et 12h45.
En plus
d’Emad (24 ans, bientôt marié), l’autre professeur de français est Demyana (aperçue
en janvier). Jeune, célibataire et pressée de partir à 14h, elle est plutôt
calme, moyennement motivée et prend peu d’initiatives, suivant une méthode
(élaborée en France) qui n’est pas enthousiasmante pour les enfants qui ont
déjà beaucoup plus de cours d’anglais. A part. « bonjour »,
« ça va » et « comment tu t’appelles ? », les échanges
sont réduits. Très souriants, ils veulent tous dire bonjour et essayer de
communiquer…en anglais. Très sollicitée, j’ai bien serré 200 mains
aujourd’hui !
Les deux
cours d’1h1/2 auxquels j’ai assisté s’adressaient à des 9-11 ans curieux et
pleins de bonne volonté mais on leur apprend des mots tels que
« toupie », « bonhomme », « zut !» plutôt que
« crayon » ou « je donne ».
A cet
âge, c’est moins difficile qu’avec les collégiens chahuteurs et je vais
commencer avec eux. J’ai déjà identifié deux jolies petites jumelles de 9
ans : Marise gauchère et Marette droitière !
Voila
tout pour mon premier jour. Je vais essayer d’envoyer cela par courriel !
Samalout 2 (20 novembre 2014)
Me voici
depuis dix jours à Samalout où le beau temps persiste. La piscine au pied de
mon studio est bien tentante mais les femmes qui y nagent y sont recouvertes
des cheveux aux chevilles et cet équipement me fait défaut ! Elles
s’entraînent 2 à 3 heures avec un maître-nageur jusqu’à la nuit vers 17h15 où
j’assiste à de beaux couchers de soleil. Les enfants courent autour de ce plan
d’eau ouvert à tous sans aucune protection : quelques ballons y ont été
envoyés mais aucun enfant n’y est encore tombé.
Mon plus
gros souci est un combat très inégal que je dois livrer dans ma chambre contre
les moustiques égyptiens qui me harcèlent silencieusement dès que j’y suis.
C’est une fois piquée que je m’aperçois de leur présence et ils ont une agilité
surprenante pour échapper. Je n’ai jamais réussi à en écraser un à la main. Le
produit puissant que Bernard m’a passé m’asphyxie mais ne les décourage pas. La
nuit, je me confectionne un chèche avec le petit drap en soie que j’ai apporté
et il n’en sort que mon nez pour respirer, ce qui n’empêche pas une paupière
boursouflée ou un doigt enflé au réveil.
Pour les
prendre de vitesse, mon arme est le large oreiller qui les étouffe contre le
mur quand ils sont en train de vite filer. J’ai un peu honte de l’état dans
lequel je le mets. La lavette apportée de Paris
sert à faire disparaître des murs de longues traînées rouges. Je suis
devenue experte pour repérer ces insectes et parfois 2 voisins sont tués d’un
coup, quelle victoire ! Malgré les dizaines occises, les grillages aux
fenêtres, l’ampoule dévissée au-dessus de la porte et le noir dans lequel je
l’ouvre, il reste des irréductibles.
La nuit
dernière j’ai eu un peu de répit, peut-être grâce à l’oignon coupé sur mon
oreiller.
Ce
conseil judicieux reçu hier par courriel a justement coïncidé avec l’apparition
pour la première fois de ce légume pour agrémenter le concombre-tomate
quotidien, tandis que 3 quartiers d’orange et du raisin en grains et sans goût
constituent le dessert. Le plat de résistance est un mélange de riz et de
vermicelle où s’ajoutent parfois des lentilles et des pois chiches avec des
croquettes de viande ou du poulet pané.
Dans ma
chambre j’ai écrasé deux petits cafards et le ruban colle-mouche que j’avais
prudemment apporté joue bien son rôle avec pas mal de victimes.
Cependant
on fait le ménage des parties visibles, ni derrière la porte ni sous le lit.
Malgré
un équipement de pointe (lampes led, air conditionné, écran plat), l’entretien
ne suit pas.
Il est
désolant de voir les beaux bâtiments de l’école qui n’a pas dix ans se
détériorer sans réparation : portes défoncées ou ne fermant plus avec
serrure bloquée, pans de revêtement tombés, tables et sièges cassés, fenêtres
coincées, tableaux tordus. Seul, le carrelage du sol semble résister. Lavé à
grande eau plusieurs fois par jour, il se transforme en patinoire pour mes
semelles en caoutchouc et je descends les escaliers mouillées avec grande
prudence, ne souhaitant pas découvrir l’hôpital égyptien.
En plus
de grandes salles de sport, il y a un tennis à l’abandon jamais nettoyé pas
plus que l’escalier qui y mène. Les tables et fauteuils en rotin de la terrasse
ont perdu une partie de leurs éléments et il n’en reste que de traitres clous à
vérifier avant de s’asseoir !
La
cathédrale n’est pas encore terminée et des ouvriers s’y activent. Elle a une
belle architecture à arcades et on aperçoit les vitraux avec des scènes de la
vie du Jésus. Un haut campanile domine l’ensemble tandis que devant le palais
épiscopal des personnages très réalistes en plâtre peint représentent la
passion et la résurrection. Sur le coté qui domine ma chambre, un grand Bon
pasteur de 6m en fer forgé me protège tandis que les brebis à ses pieds servent
de supports à des nids de mésanges cachés sous leurs extrémités, museaux et
pattes.
Vendredi
je suis allée à l’office (messe) dans la crypte au plafond à caissons en forme
de croix. Les bancs de bois sont sculptés et les piliers en béton attendent
leur décor. Le service commence vers 7h et se termine vers 10h mais j’estime
suffisant d’arriver à 9h pour entendre les chants monocordes et incessants du
chœur masculin ou des prêtres parmi lesquels j’ai identifié des
« kyrie » et des « amen ». La cathédrale était pleine,
hommes à gauche et femmes à droite. Quelques rares femmes âgées en noir,
beaucoup de jeunes femmes avec bébés mais pas un n’a crié ou pleuré. Les
enfants sont bien habillés (jolies chaussures, mini-jeans, vêtements
impeccables et recherchés). A l’école comme à l’église j’ai l’impression d’une
société copte assez aisée. Les enfants ont des téléphones mobiles, des montres,
certains des tablettes, de beaux sacs à dos pleins de livres. Les filles sont
bien coiffées avec recherche, « chouchous » soignés, boucles
d’oreilles. Pendant l’office, les mamans allaitent leurs bébés, les
adolescentes écoutent de la musique sur leurs portables ou papotent entre elles
sur le fond de chants ininterrompus. Quelques femmes portent des mantilles ou
écharpes légères décorées d’un saint local et souvent glissées sur les épaules.
Il y a
la communion, puis la distribution de pain béni coupé dans de grands paniers et
cela se termine par l’aspersion généreuse d’eau bénite par un prêtre passant
dans les allées. Une partie de l’office se déroule derrière de grands rideaux
rouges.
A la
sortie de l’office, on retrouve les élèves de l’école du Nouveau Testament et
leurs familles et c’est encore l’occasion de serrer des centaines de mains.
Samedi,
la fête des enfants se célébrait de 10h à 14h et les petits de maternelle (3 et
4 ans) s’activaient sur les bords de la piscine : course en sacs (à
laquelle j’ai participé !), danse sur une musique tonique, sauts sur une
structure gonflable ou tir de corde.
Les
élèves plus âgés avaient aussi leurs compétitions, ravis d’échapper à 3 heures
de cours. Jeux de ballons, épreuves de vitesse et d’adresse sur une surface
savonneuse, démonstrations originales par classe. Les scouts faisaient le
service d’ordre et les profs contrôlaient les concurrents. Cela s’est terminé
par des remises de coupes et de la danse (genre WMCA). Les adolescents y
étaient plus à l’aise qu’en français !
Bernard
et moi ne sortons pas de l’enceinte du complexe copte, à la demande de l’évèque
mais tout semble très calme et la vie paisible. Du tennis j’observe la
rue : une marchande de fruit en plein air, 3 boutiques éclairées au néon
le soir (dont Adidas), des ordures abondantes un peu partout. Le sol des rues
est en terre battue et il passe surtout des « tuc-tuc », tricycles à
moteur aux carrosseries bariolées de publicité qui servent de taxis.
Tous les
immeubles alentour –et il y en a beaucoup- semblent en construction et, bien
que pas terminés avec briques et béton apparents, sont souvent habités avec
beaucoup de linge séchant sur les balcons.
Vendredi
la directrice nous avait conviés à la fête des scouts de l’école qui avait lieu
dans le jardin abandonné de ce qui fut une superbe villa à colonnades et
terrasses dont les volets sont fermés et des marches manquent au double
escalier. Sous des orangers et oliviers couverts de fruits, les scouts, garçons
et filles de 10 à 16 ans (une avec le voile), avaient monté des installations
multiples à l’aide de pieux et de cordes et une couverture en tente. La
banquette sur laquelle je me suis assise était solide mais la balançoire
semblait peu stable ! Le chef scout (sympa prof de gym à l’école) menait
son monde à la baguette, certains acolytes se retrouvant « au
piquet ».
Ces
derniers de 18-20 ans organisaient des jeux sympas pour les plus jeunes avec
beaucoup d’attention et tous semblaient très heureux d’être là. Pour nous,
c’était une sortie inattendue qui permet d’apercevoir la ville. Le chauffeur de
l’école nous a emmenés dans une belle voiture tandis que les scouts ayant
défait toutes leurs installations (les pierres faisant office de couteau pour
enlever les cordages plutôt que défaire les nœuds) rentraient en car scolaire.
Samedi
soir, une fête de mariage a eu lieu au « club ». Les sièges en
plastique ont été recouverts de housses en satin avec des gros nœuds mais assez
froissés car rangés en boule ! Les invités élégants étaient installés à
des tables non garnies (sauf de téléphones portables, avaient-ils dîné ou bu
avant que je sorte regarder ?) autour de la piscine et entendaient une
musique disco très forte (moi aussi dans ma chambre, ce qui m’a fait sortir)
qui s’est brusquement arrêtée à 22h30. Ouf !
Des
néons colorés éclairaient les terrasses et la piscine. La mariée en robe à
bretelles et léger voile dansait avec ses amies puis les jeunes gens s’y sont
joints. Il n’y a pas eu de feux d’artifice comme celui auquel nous avions eu
droit vers 23h deux soirs avant, tirés d’une maison voisine.
Presque
chaque soir, il y en a tirés dans le voisinage. Cela se mêle aux miaulements
des chats et aux aboiements de hordes de chiens hurlant. Les coqs chantent à toutes
heures, les muezzins entretiennent une cacophonie à plusieurs reprises de la
journée avec des paroles et chants décalés surtout à midi et à 17h : il
doit bien y avoir dix mosquées alentour.
Coté
école, il y a beaucoup de cours de français car beaucoup de classes mais les
effectifs sont généralement de moins de 20 élèves, sauf en maternelles où, plus
nombreux il n’ont qu’une initiation courte à notre langue.A partir de 8 ans,
chaque classe n’a qu’ 1h30 de français par semaine mais 1h30 d’anglais par jour
(5 fois plus) et certains le double ayant aussi les maths et les sciences en
anglais.
La
discipline laisse beaucoup à désirer : les enfants mangent et mastiquent
du chewing-gum, sortent (en demandant au prof), claquent les portes, bavardent
et rient entre eux, se déplacent dans la classe, s’étendent sur leur bureau.
Les ados répondent, tiennent tête et argumentent.
Demyana
utilise une règle plate dont elle use abondamment sur la paume des mains des
enfants du primaire. Cela doit faire mal car certains se frottent les mains
après et d’autres n’osent pas les avancer par peur de subir ce châtiment.
Certains enfants écrivent les mots à l’arabe. Ex : « moi »,
d’abord le i, puis le o écrit à l’envers en partant de la gauche, puis le m en
partant de la droite !
Emad,
petit et gringalet, hurle face à des ados grands et costauds qui le dépassent,
vautrés sur leurs sièges et coincés sous des bureaux mal adaptés à leur taille.
Dans chaque salle, le matériel est hétéroclite et il y a des sièges
cassés, des chaises en plastique pour remplacer celles en bois, des bureaux de
tailles différentes et des sièges de dimensions variées. Et pourtant, c’est du
beau matériel solide qui a été installé il y a 6 ou 7 ans. Les bureaux des
élèves sont disposés en désordre, n’importe comment et non pas en rangées, les
affiches arrachées pendouillent. Le professeur n’a ni table ni siège. Il
apporte sur crayon feutre pour le tableau blanc et réclame à un élève un
kleenex pour l’essuyer.
C’est un
mélange de laisser-aller et de discipline car le matin les élèves sont en rangs
dans la cour, les retardataires courant se placer, et partent en bon ordre dans
leurs classes selon un rituel que fait faire aux rangs de belles arabesques
dans les deux cours.
Bernard,
excédé par l’attitude de certains adolescents totalement absents des
explications est sorti brutalement de plusieurs classes. Certaines élèves, dans
les grandes classes, à 15 ans, sont voilées, 30 % des élèves étant musulmans.
Je suis frappée par le nombre d’enfants aux yeux bleus, parfois très pales. Il
y en a dans toutes les classes. Il n’y a ni Noir ni Asiatique. Certains ont la
peau très claire et il y a quelques rares roux et blonds.
Dimanche,
Bernard m’a enregistrée chantant (mais oui !) tout un répertoire de 20
chansons enfantines pour les petits de maternelle à 7ans. Il me reste à les
leur apprendre. Cela va de « Meunier tu dors » à « Une poule sur
un mur » et de « Il est né le divin enfant » (pour Noël) à
« V’la l’vitrier qui passe ». Tout est mis sur une clé USB et écouté
sur l’ordinateur.
Ce
matin, dans la cour c’était « Radio française » et des enfants ont
parlé et chanté une comptine devant l’école rassemblée pour le lever de
drapeau.
Bernard
et moi nous sommes réparti 48 cours de français. Je vais dans les petites
classes et m’attache à la prononciation car on fait répéter les enfants par
cœur sans qu’ils identifient vraiment les sons entre « e » et
« u » par exemple. Dans certaines classes, je leur parle de la France,
traduite par le professeur et aidée par un stock de cartes postales que j’avais
apporté. Les petits sont sidérés par les hautes montagnes et il faut leur
expliquer ce qu’est la neige que je compare à la mousse de savon car les profs
ont du mal à décrire ce qu’ils n’ont jamais vu eux-mêmes.
A mes
moments libres je dessine ce que je vois de ma terrasse et cela fait beaucoup
d’arcades et de fenêtres de classes. Je n’ai pas le temps de lire les livres
que j’ai apportés. J’ai la chance d’avoir Ale wifi dans ma chambre quand il
veut bien fonctionner. Voilà tout pour aujourd’hui. Je pense vous avoir tout
raconté.
La mi-temps de
mon séjour en Egypte
(28 novembre 2014).
Ce
séjour me semble passer très vite.
Je vous
rassure. Même si quelques irréductibles vésinent (il paraît que c’est le
terme !) encore, j’ai presque éradiqué la colonie d’envahisseurs. Il faut
dire que le temps commence à fraîchir et j’ai sorti un pull (très difficile de
prononcer le « u » de ce mot par les enfants, comme d’ailleurs aussi
le « e ») et mis une couette Spiderman sur mon lit hier. Le froid devrait
anéantir les derniers récalcitrants.
Pas le
temps de m’ennuyer entre les cours et les tableaux que Bernard et moi préparons
pour les professeurs. Ceux-ci parlent mal le français, l’ayant appris de profs
qui, comme eux, ne sont jamais allés en France et connaissent peu ou pas notre
culture et notre histoire. Je viens de voir à la télé sur TV5 une longue
interview de Hollande (le voyant parler pour la première fois) sur la
francophonie qui, selon lui, est présente dans 1/3 des pays du monde…mais dans quel
état ?
Nous
essayons de donner des notions exactes aux plus petits de 6 ans et plus.
Je
m’efforce d’ouvrir ma bouche excessivement ou en cul-de-poule selon les sons,
ce qui les fait rire mais ils m’imitent bien. En me regardant faire devant le
miroir de ma chambre, je comprends leur hilarité ! Les « p »
aussi sont difficiles et le prof ne fait guère de différence entre
« poupée » et « poubelle » (prononcé « boubél »).
Je
deviens virtuose en chansons enfantines et chef de chœur avec « Alouette,
gentille alouette ».
Parfois,
après le lever des couleurs, à 7h30 le matin, il y a « Radio
française » devant tous les élèves et les professeurs dans la cour mais
j’avoue ne rien comprendre de ce qui est dit ou chanté, parait-il en français.
La chorale « Alouette » des 6-7 ans doit s’y produire prochainement.
J’ai
bien enregistré une trentaine de chansons de « La mère Michel » à
« Gentil coquelicot » en passant par la Lorraine. J’étais sidérée de
découvrir que j’en connais une centaine enfouie dans ma mémoire ! J’avoue
qu’après deux ou trois couplets, je m’arrêtais car « Malbrough s’en va en
guerre » en a au moins quinze.
Je suis
aussi récitante de textes choisis de Du Bellay à Jacques Prévert avec escales
chez Victor Hugo et Rimbaud. J’ai échappé aux fables de La Fontaine dont
Bernard a apporté des CD joints à ses appels de fonds par la fondation Valentin
Haüy.
L’après-midi,
tandis que Bernard prépare des gammes de sons allant du « ba »
au « groin », j’établis des listes d’homonymes qui vont de
« ou, où, houe, houx, hou ! » à « hospice, auspice ».
Moi qui ne joue pas au bridge, ni ne fais jamais de mots croisés, sudoku ou
autres mots fléchés, cela me fait travailler les méninges tout en m’amusant
bien.
En
parallèle, avec Bernard nous recherchons les racines grecques (déjà plus de
150) de « eu » (bien) à « phlegm- » (brûler) ; pardon
aux hellénistes car nous devons faire parfois de légères erreurs malgré
le « Robert » tout neuf que Bernard a offert aux profs et où
nous puisons nos sources.
Chacun
de nous a apporté son mini-ordinateur et il a recours à Wikipédia en cas de
doute sur la prononciation dont nous extrayons l’indispensable entre les
« é » et les « è ». J’ai pris plusieurs livres de grammaire
avec moi dont « Les difficultés de la langue française » que je relis
entièrement et j’apprends pas mal de détails que j’ignorais jusque là. Mon
petit lexique orthographique m’est bien utile aussi mais le
« Robert » liste les mots à l’orthographe rectifiée selon la réforme
de 1990. Il paraît que maintenant on peut écrire « ainé » au lieu
d’ « aîné ».
Ce
dictionnaire est accompagné d’une clé USB pleine d’informations et de videos et
nous utilisons nos ordinateurs personnels, également pour faire écouter ce que
nous avons enregistré puis transféré sur une clé USB. Emad et Demyana, les
profs, ont de vieux ordinateurs de bureau chez eux. Payés 80 euros par mois,
ils ne peuvent s’offrir un portable, même s’ils habitent chez leurs parents à
24 et 26 ans.
Dans
l’école, il y a une belle salle d’informatique pour les cours éponymes (mot
d’origine grecque !) avec une trentaine d’écrans plats. C’est une école
chère et les employés et professeurs nous ont fait comprendre qu’elle n’est pas
abordable pour leurs enfants !
Aujourd’hui
nous parlions des métiers avec les 12-13 ans et ils voulaient tous être
médecins ou ingénieurs et même président de la République ! Hier, vu mon
âge qui les oblige à apprendre 70 et plus, l’un d’eux m’a demandé si j’avais
connu Bonaparte ! Pour eux, c’est le seul nom de Français qu’ils
connaissent, un envahisseur vu négativement. Mais j’ai pu leur répondre que mon
arrière-grand-oncle décédé quand j’avais 20 ans avait, dans sa jeunesse, connu
un viel homme qui, lui, avait vu Napoléon, ce qui m’avait fortement
impressionnée quand il me l’avait dit.
Nos deux
profs de français ne collaborent pas entre eux, ne s’occupant que de leurs
propres classes qui vont du CE1 à la seconde. Chacun suit la méthode imposée
par l’école mais, à notre avis, mal adaptée à l’enseignement. Après 6 ans de
français, ils ignorent la signification de « qu’est ce que c’est ?»
ou « écrire » mais ont appris « artichaut » (légume inconnu
dans le pays), « épée » (rarement utilisée de nos jours) et
« farandole ».
Il faut
aussi dire que les cours sautent souvent : mercredi cinq cours sur les dix
de français prévus ont été annulés pour causes diverses (examens d’une autre
matière, les profs de français qui doivent aider à la surveillance, priorité
des révisions de l’épreuve future sur le cours de français, etc…).
Certains
enfants s’en plaignent. Ils ont 44 cours par semaine dont deux de français et
deux récréations d’un quart d’heure entre 7h45 et 14h ; c’est identique
pour toutes les classes.
Bernard
commence à ne plus supporter ce fonctionnement décourageant fait d’annulations
du dernier moment, pas plus que les interruptions intempestives dans la classe
d’autres professeurs venant distribuer leurs cahiers corrigés ou une note pour
les parents, parfois 4 coupures en 40 minutes.
Moi qui
suis là depuis moins longtemps, je réagis moins mais trouve cela insupportable.
Tout
cela s’ajoute à l’indiscipline non maîtrisée qui rend certains cours
impossibles à donner correctement. Parfois Bernard en abandonne certains au
milieu ou refuse d’y retourner la semaine suivante. Personnellement j’arrive à
imposer le silence… de temps en temps quand je le remplace auprès des
adolescents avec des promesses d’images que je leur présente sur la France. Les
grands photographient avec leur téléphone portable les cartes postales de
montagnes ennéigées.
Nous
avons rédigé un bilan que nous enrichissons petit à petit et nous nous
interrogeons sur l’intérêt d’être bénévole dans ces conditions pour une matière
aussi négligée.
Ceci
étant dit, nous pensons que c’est important pour les Coptes de voir qu’on
s’intéresse à eux, que nous apportons un souffle extérieur important et qu’il
restera quand même quelque chose de notre passage. Je m’attache à leur parler
de la France, avec de nombreuses cartes postales à l’appui.
Malgré
les côtés négatifs, je suis ravie d’être ici et m’y sens bien. L’après-midi,
Bernard et moi, travaillons ensemble sur la terrasse jusqu’à l’arrivée des
moustiques. Sinon chacun mène sa vie. Pour me dégourdir les jambes car je suis
beaucoup devant mon ordinateur, je fais quelques tours de piscine ou de tennis
(ils ont la même taille) avec des mouvements d’assouplissement et je retourne
chez moi.
Ici les
personnes sont très aimables et nous avons l’occasion de rencontrer pas mal de
monde, les élèves qui veulent nous parler…en anglais, les professeurs qui
parlent cette langue, des personnes de passage –l’autre jour une directrice
égyptienne retraitée d’école Montessori à Los Angeles qui a fait Normale sup à
Sèvres, ce matin un parent d’élève parlant français bien mieux que les profs-
et c’est convivial. Nous n’éprouvons pas le besoin de sortir.
Vendredi
dernier la directrice de l’école, Mme Neween, nous a proposé de l’accompagner à
un pèlerinage dans le village de sa famille. Il y avait foule dans les ruelles
pour accéder à l’église où on fêtait St Michel. Des jeunes essayaient de
canaliser les flux entrant et sortant et c’était la bousculade à qui passerait.
La chaussée, comme à Samalout, n’est pas asphaltée. Dans les rues tortueuses
praticables par les seuls « tuc-tucs » (tricycles-scooters) il y a de
mini-boutiques installées dans des portes cochères, genre bazar vendant des
sucreries, des objets ménagers et de l’alimentation. Les musulmans et coptes se
mêlaient, les uns regardant passer les autres.
Dans le
chœur de l’église, prêtres et assistants psalmodiaient sans fin, accompagnés
d’un public plus ou moins attentif dont un certain nombre d’assistants ayant
leur livre de prière sous les yeux. Etaient assis dans les bancs des vieilles
femmes tout en noir, un foulard et une guimpe autour du visage, pas mal
d’hommes, des jeunes élégantes, des enfants….mais une bonne partie des pèlerins
rentraient pour se diriger vers le grand tableau de St Michel, pour le toucher
et allumer une bougie à planter dans le sable d’un grand bac.
Assis au
premier rang, nous avons été invités par le pope à barbe blanche et turban,
parlant un peu l’anglais, à entrer dans le chœur, ne sachant qu’y faire, gênés
d’être le point de mire de tous. Nous sommes allés mettre notre bougie et avons
été gratifiés d’une dizaine d’images différentes du saint en vente dans
l’entrée, ce qui réduisait d’autant plus celle-ci tout en augmentant la mêlée.
Une fois
sortis, Mme Neween nous a emmenés dans la maison de ses parents où habite son
frère, le maire du village. Une maison cossue avec de lourds canapés et
fauteuils dont les tapisseries sont couvertes de draps pour les protéger. Au
mur, les photos des grands-pères, une grande tapisserie du Bon pasteur, un
crucifix, un portrait de saint homme…
Mme
Neween nous emmène dans ce qui fut la chambre de son jeune frère décédé à 28
ans, il y a 8 ans. Rien n’a bougé depuis parce qu’un miracle s’y
produisait : toutes les grandes images pieuses accrochées autour du lit du
malade (cancer) suintaient spontanément de l’huile (sainte) dont ces petites
affiches sont plus ou moins maculées comme la paroi en-dessous d’elles.
Cela est
impressionnant et m’a laissée perplexe. Mme Neween ne parle pas anglais mais
ses filles, pharmacienne et étudiantes en médecine, nous traduisaient. Elle
nous a dit avoir eu une apparition de son frère avec Jésus ! Dommage que
nous n’ayons pas de langue commune car je lui aurais bien posé quelques
questions. Il est notoire que les Coptes reçoivent pas mal d’apparitions dont
certaines vues par des centaines de personnes. Plusieurs lieux d’apparition sont
devenus des centres de dévotion et pèlerinages. Cela soutient le moral de cette
population très éprouvée.
A une
compétition inter-écoles récente, la NTS (New Testament School) a été classée
dernière alors que le niveau est excellent. Une élève de 14 ans en est revenue
ulcérée disant : « C’est parce que c’est l’école copte ». C’est
possible ou est-ce pour détourner les parents musulmans de choisir cette
école ?
Installés
dans le salon du maire, nous avons dîné de très grandes et fines glettes
rigides (crêpes sèches à base de farine de maïs) préparées par la grand-mère en
longue tunique droite tandis que ses petites filles sont en collants rouges
sous de longs pulls et les cheveux au vent. Avec un agréable fromage mou, c’est
très bon et, suite à nos compliments, nous sommes repartis avec deux grands
sacs de ces galettes qui changent un peu de notre ordinaire répétitif. Nous
sommes rentrés ravis de notre escapade, emmenés par un chauffeur de l’hôpital
attenant à la vieille cathédrale (un autre complexe copte) près de laquelle
nous logions en ce début d’année, lors de ma première visite dans cette ville.
Chaque
soir, des voisins, sans doute différents tous les jours, tirent quelques feux
d’artifice dont j’aperçois les sommets ou les reflets dans les vitres de
l’école. Je les entends tandis que j’écris. Dans l’immeuble voisin, en
construction comme tous ceux des alentours, un chien est enfermé dans le
chantier assez à l’abandon et l’animal esseulé aboie souvent attirant ses
congénères dans un concert à plusieurs voix qui vaut celui des muezzins.
Vendredi
étaient prévues des manifestations des « Frères musulmans » contre le
président (qui vient de rencontrer Hollande à Paris). Les Coptes sont restés
chez eux et l’église était bien vide pour la « messe » où
Manquaient
les ¾ de l’assistance habituelle. De 11h à 14h, nous entendimes les
haut-parleurs qui haranguent une foule que nous ne voyions pas puis tout s’est
tu : il fallait bien se restaurer. Pour nous, c’était jeûne car aucun
cuisinier copte n’était venu et, au supermarché attenant, on avait prudemment
fermé.
Le
gardien accepta de nous laisser sortir et nous accompagna à une petite boutique
à 30 mètres où nous avons acheté du pain, de quoi survivre ! La rue était
déserte. Les 4 ou 5 entrées de notre complexe donnent toutes sur des cul-de-sac
mais le mur du tennis en terrasse longe une grande rue et c’est notre seul
mirador.
Tout à
coup on entendit des cris sont tout proches de nous et nous avons aperçu une
bande de jeunes qui couraient vite.. Le gardien nous a dit : « ne
vous montrez pas » et nous avons seulement jeté un coup d’œil discret sur
la rue où il y avait deux cars de police et quelques militaires et beaucoup de
personnes aux balcons où sèche toujours du linge. Le gardien revint nous
rassurer : « Tout est fini ».
Aujourd’hui
il y a une grande fête avec un banquet mais ce sera pour le prochain numéro de
ma chronique. Il se passe –presque-- toujours quelque chose à Samalout.
La fête à
Samalout (2décembre 2014)
Je vous
ai parlé d’une fête. Bernard et moi n’avons pas été prévenus mais très
intrigués par une activité inhabituelle. Toute la journée de vendredi, tandis
que les Frères musulmans haranguaient la foule derrière nos murs, on s’activait
beaucoup dans l’enceinte de notre complexe.
Les
cuisiniers coptes, rassurés par le calme de la ville, ont travaillé le soir et
toute la nuit pour présenter ce matin, samedi 29 novembre, un superbe buffet de
beaucoup de plats variés et joliment décorés qu’ils servent coiffés de la toque
traditionnelle et gantés de plastique.
Des
personnes se sont activées autour et dans la cathédrale dans laquelle on a posé
des tapis plus ou moins usés sur le sable dont est encore constitué son sol.
Des tentures avec des arabesques en patchwork ont été suspendues sous les
vitraux naïfs, cachant les ouvertures encore sans vitres. Un écran géant et des
chaises louées sont prêts pour des spectateurs.
Tout
autour de la cour de cette église, des banderoles ont été accrochées aux
grilles de l’école qui sont ornées de ses initiales NTS (New Testament School).
On y voyait le portrait de l’évêque et de quatre jeunes gens, chacun ayant ses
affiches. Bernard et moi imaginions que c’étaient de récents martyrs coptes.
Pas du tout. Renseignements laborieusement pris, il s’agissait des hommes d’une
trentaine d’années qui allaient être ordonnés prêtres le samedi à 6h30 du
matin, si nous avions bien compris.
Ce
matin, réveil matinal pour nous, d’autant plus qu’un des futurs ordonnés loge
dans le studio à côté du mien et qu’on frappe à ma porte par erreur ! Déjà,
la veille, j’ai répondu à 5 ou 6 coups chez moi jusqu’à minuit pour ouvrir à un
visiteur ou un autre et l’entendre s’excuser : « sorry, sorry ».
A
l’heure dite, les familles des postulants sont déjà installées dans la partie
décorée pour la circonstance qui leur est réservée dans la crypte mais, sinon,
celle-ci est encore vide et nous allons assurer les cours à 7h30 à l’école.
Nous avons bien aperçu un dense regroupement d’aubes blanches par la fenêtre de
la sacristie qu’un rideau sépare de l’église mais l’office n’est pas commencé.
Le chœur
est en fait le fond de l’église avec cinq arcades d’où pendent des tentures
rouges. La plus grande, centrale, est ouverte pendant les cérémonies et laisse
voir un autel carré en marbre sculpté avec le tabernacle au centre et une
grande fresque du Christ en gloire. A droite et à gauche les rideaux cachent
des autels secondaires avec d’un côté IsaÏe dont un ange brûle les lèvres d’un
charbon ardent, de l’autre Jésus ressuscitant les morts. L’un d’eux s’ouvre
pour la communion des hommes. Quant aux femmes, elles la reçoivent par une plus
petite porte en bois qui s’entr’ouve et ressortent par la galerie extérieure.
Par
respect, les Coptes se déchaussent dans les églises et on aperçoit les
chaussures en tous genres posées entre les bancs. Les enfants gardent les
leurs. A la communion, donnée sous les deux espèces, tout le monde va pieds nus
ou en chaussettes. Côté femmes, toutes portent alors un voile ou foulard sur la
tête et une jeune assistante du prêtre propose des mouchoirs avec inscriptions
religieuses pour éviter que le vin consacré donné à la petite cuillère ne se
répande sur les vêtements. Même les bébés portés par leur mère y ont droit.
Dans d’autres églises où je suis allée en janvier, chacun porte un mouchoir sur
lequel repose le pain qui est porté directement à la bouche sans que la main le
touche. Ici, le prêtre le met directement dans la bouche des communiants.
Le
« Notre-Père » est récité mains ouvertes comme en France et en fin de
cérémonie, le pain bénit est distribué à tous dans des corbeilles et le prêtre
arrose abondamment les assistants d’eau bénite, plongeant la main dans un
pichet en plastique. Le pain a été apporté par des fidèles en début de
cérémonie et, pour les ordinations, était en vente à l’entrée dans des sacs en
plastique.
Des
chœurs d’hommes psalmodient sans cesse, parfois alternant avec le prêtre,
parfois accompagnés de toute l’assistance. Et la « messe » avec
credo, sermon et nombreux « kirye eleison » dure près de trois
heures.
Donc, ce
samedi, après les premiers cours, nous avons une pause vers 9h30 et retournons
à la cathédrale qui est archi-pleine, des enfants se nichant sur les autels des
bas-côtés dont les couloirs sont assez bondés. Les scouts de plus de 15 ans, en
tenue, sous la direction de Kawadros, le prof de gym chef scout, assurent
impeccablement le service d’ordre et canalisent le flot d’arrivants.
La
cérémonie d’ordination se déroule : onction d’huile, prise d’habit, de
luxueuses chapes et une mitre d’évêque brodés, accolades avec les dizaines
d’autres prêtres qui vaquent autour dont un bon nombre en train de
photographier avec leurs tablettes et portables !
Des
you-yous aigus sont lancés par les femmes et se mêlent aux applaudissements de
félicitations avant que les nouveaux ordonnés psalmodient chacun à tour de rôle
un long chant sous l’œil attentif de l’évêque. Ce qui se passe autour de
l’autel me paraît assez fouillis avec les prêtres en tous sens.
Dehors,
beaucoup d’hommes, dont une bonne partie en djellaba, bavardent entre eux,
m’évoquant nos messes d’antan en France, les femmes dedans, les hommes au café.
Ils ont l’excuse que la moitié gauche de l’église est plus que pleine, y
compris dans les couloirs, et qu’ils ont donc été refoulés. Certains suivent
l’office de l’extérieur devant la porte mais peu montent dans la cathédrale où
les attend pourtant l’écran géant. J’évalue à plus de mille personnes sans
compter les enfants l’assistance du vendredi et aujourd’hui, il y en a bien
plus.
Il y en
a aussi deux installés dans la crypte aussi grande que la cathédrale où l’on
voit les prêtres en gros plan. Lors des messes, les paroles des chants y sont
projetées. Un bel équipement audio-visuel est installé dans une salle.
Ayant
d’autres cours à assurer, je pars vers la piscine où, en deux heures le
somptueux buffet a été installé ainsi que des dizaines de tables entourées de
chaises.
Il est
tout juste dix heures et certains prêtres qui n’ont pas revêtu d’aubes viennent
déjà se restaurer.
En ville
les prêtres coptes portent une longue tunique noire sans ceinture et un chapeau
noir entre béret, galette et turban que je ne sais pas décrire mieux !
L’assistance
commence aussi à s’approcher du buffet où sont servis dans une grande barquette
en plastique des galettes souples, de la purée, diverses sauces, des légumes
sautés, des croquettes, des frites (froides), des haricots, de la crème de
sésame, des légumes au vinaigre, des rondelles de pommes de terre à la tomate
et encore d’autres bonnes choses. Tout cela se mange avec les doigts, le pain servant
d’instrument.
Quand
j’arrive entre deux cours vers 11h45, toute la foule est passée de la
cathédrale aux abords de la piscine dont les scouts, imperturbables, contrôlent
l’approche. De même tous les accès sont gardiennés. Il y a des centaines de personnes
venues des paroisses des nouveaux prêtres. L’un d’eux est porté en triomphe.
Beaucoup de gens simples, de fellah (paysans) en djellaba avec leur turban sur
la tête et parfois une écharpe autour, en plus. Les femmes âgées sont en noir,
le visage et la tête souvent bien enveloppés ou avec un fichu. Certaines ont
visiblement mis leurs plus beaux atours avec des plastrons brodés ou couverts
de strass sur leur longue tunique en velours, avec ou sans ceinture.
Des
mamans allaitent leurs bébés dans la cathédrale où l’assistance est plus
recueillie et priante que celle du vendredi bien plus citadine. Ces personnes
attentives au déroulement de la cérémonie et silencieuses sont touchantes de
joie et de simplicité. Elles sont heureuses d’être là et apprécient ensuite le
bon repas distribué à tous. Elles se regroupent en famille ou avec des amis. Je
déjeune avec deux familles tandis qu’à une table voisine un jeune prêtre berce
son bébé, Mark, dans une couverture rose, jolie scène. Les prêtres peuvent être
mariés s’ils l’ont été avant leur ordination.
Il y a
beaucoup d’enfants tandis que les « nôtres » sont étrangers à cette
cérémonie et on les entend crier en récréation ainsi que battre le tambour pour
retourner en rangs dans leurs classes.
J’ai
encore des cours auxquels je file à midi, traversant la foule qui, lorsque je
sors à 14h, a complètement disparue. Les tables sont déjà rangées et mon décor
a repris son aspect habituel.
La
vaisselle est faite et la cuisine en ordre. Cela a vraiment été très
rapide : chapeau ! les Egyptiens.
De la
fenêtre d’une classe, j’avais aperçu qu’on chargeait déjà toutes les chaises
louées sur une carriole tirée par un âne. Il ne reste plus une trace de la fête
tandis que j’écris ce même jour à 16h.
Les
banderoles sont parties aussi. Seul subsiste le plâtre durci étalé il y a deux
jours sur un plastique recouvrant les jolies arabesques de marbre des paliers
vers la cathédrale pour les protéger.
La fête
est finie mais elle fut vraiment belle. Demain, c’est dimanche, jour où
l’assistance à l’office copte est moindre que le vendredi, jour de repos
officiel de ce pays musulman où les enfants vont en général à l’école le
dimanche, n’ayant qu’un jour de congé. NTS fait exception en laissant le
dimanche libre.
Ce
jour-là, il y a beaucoup moins de monde, et surtout d’enfants, que le vendredi
à l’église et la consécration se déroule dans un silence absolu avec une
assistance recueillie, mais quelques élèves de l’école viennent quand même me
dire « bonjour » avec gentillesse pendant l’office.
Le temps
file vite mais le soleil est toujours présent. Il fait plus frais et les
anoraks et gants sont sortis et même certains élèves écrivent les mains
gantées.
Je
reprends ma chronique le jeudi 4. Il fait toujours beau et suffisamment chaud
pour ne pas décourager quelques moustiques affamés. Je prends l’habitude de
faire une sieste au soleil après le déjeuner tardif, les cours finissant à 14 h
et cela fait rire Guergès (Georges), le maître-nageur qui passe devant moi pour
rejoindre sa chambre.
Dimanche
après-midi, de ma chambre j’entendais un groupe de fillettes répétant des
chants allègres avec sono et , en allant prendre l’air j’assiste à la
répétition de la chorale de No¨¨el dans le jardin de l’évêque. Les chants sont
mimés et une crèche vivante se tient au milieu des statues en plâtre peint de la
Nativité. A la fin, les moutons et les rois mages plus grands que nature
repartent tous à leur réserve sur l’épaule d’un gardien, scène amusante. Ici
Noël sera célébré le 6 janvier.
La sono
repart à la crypte où je fais un tour et j’y apprends qu’une assemblée de
prière aura lieu le soir. J’y vais donc et l’assistance aussi nombreuse qu’à la
messe est en majorité jeune, quelques mamans allaitant. L’animation est faite
par un chœur de femmes accompagné d’une sono rythmée et c’est beaucoup plus
vivant que les chants monocordes des hommes. Les paroles des chants sont
projetées sur l’écran avec des fonds de paysage ou de scènes bibliques. Les
hymnes alternent avec des textes lus et des prières. Après une heure et demie
agréable à l’oreille, je regagne mon chez-moi, ravie de ce nouvel imprévu.
Jusqu’à
maintenant, dans le partage des cours, j’avais les petites classes, laissant
les adolescents à Bernard. Cette semaine, je vais chez les plus âgés
extrêmement indisciplinés à part quelques silencieux qui essayent d’apprendre
quelque chose au milieu du chahut. J’essaie d’écouter leur prononciation
individuelle et c’est une catastrophe. Personne n’a été capable de lire les
mots d’une syllabe écrits au tableau !.
Dans la
classe des 14-15 ans, le même élève s’est déplacé douze fois pendant le cours
puis a souillé toute sa table au feutre indélébile, un autre mangeait ses chips
(et j’ai jeté son paquet à la corbeille !), d’autres bavardaient et j’ai
demandé à Imad, le prof, de ne rien dire et de ne pas crier comme il a
l’habitude de le faire. J’ai seulement écrit au tableau « Ceux qui ne
veulent pas étudier le français ferment la bouche, s’il vous plait », ce
qui les a intrigués, et j’ai demandé de traduire. L’un d’eux a identifié « ne…pas »
comme une négation et un autre « s’il vous plait », c’est tout… et
ils étudient le français depuis sept ans ! J’ai dessiné une bouche. L’un
d’eux l’ayant proclamée « baiser », je l’ai remplacé par un sourire à
grandes dents ! Une seule élève a su traduire « crayon ». C’est
assez désespérant.
Avant
l’arrivée des bénévoles comme Bernard et moi, il n’y avait aucune méthode
d’apprentissage des sons et des mots usuels en français et cette classe en est
victime. Les jeunes professeurs sont assez inexpérimentés et passent leur temps
à essayer de discipliner leurs troupes. Les petits ont plus de chance en
commençant par la méthode Boscher qui a fait ses preuves.
Je suis
venue avec un lot important de cartes postales de France que je passe en fin de
cours tout en leur parlant de la France « qui est deux fois moins grande
que l’Egypte », ce qui ravit les garçons. J’ai une série sur la mer, une
autre sur la neige qui intrigue les petits, une sur les villes, etc... La
perspective de voir les photos rend certains élèves assez sages chez les 9 à 12
ans. A force d’être manipulées par tous et photographiées avec leur portable
par les plus grands, elles commencent à avoir triste allure.
J’ai
aussi apporté des cartes d’autres pays ou de sujets divers à leur donner.
La
distribution est parfois houleuse avec toutes les mains tendues et des
resquilleurs viennent me faire les yeux doux pour en avoir plusieurs. D’autres
sont insatisfaits de leur lot mais j’ai vite compris que je devais refuser de
le leur changer. Je dois déjà faire attention de ne pas donner une église à un
musulman et d’éliminer toute photo ayant une statue peu couverte ou une
baigneuse sur une plage, même si elle n’a que 7mm de haut. J’ai même provoqué
les larmes d’un petit parce que sa jolie image était plus petite que celles des
autres. Bien que presque tous soient ravis de ce mini-cadeau (que même des
profs que je ne connais pas me réclament), je ne suis pas sûre d’avoir eu
raison d’entreprendre cette distribution.
Aujourd’hui,
je voulais discrètement célébrer l’anniversaire de Bernard et demander à la
cuisine un dessert différent de l’orange en quartiers déjà épluchée
quotidienne. Mais Madame Neween, la directrice, l’a appris et voulu le lui
souhaiter dignement. Tandis que nous patientions longuement dans la salle
d’attente, Bernard pestait contre cet imprévu qui retardait notre déjeuner et a
été tout surpris de découvrir qu’il en était la cause.
Sur
l’immense table de la salle de réunion (dont le centre est un long bac rempli
de fleurs artificielles fatiguées) un gros gâteau trônait avec des croissants
enrobés de miel. Nous eûmes droit à « Happy birthday » en anglais et
arabe, le « Notre Père » en français et en arabe et la bénédiction de
Shénouda, un futur prêtre coordinateur à l’école, avant d’entamer une épaisse
génoise à la crème. Une part chavira et sombra dans la fausse verdure centrale
(!!) tandis que tous les possesseurs de portables se photographiaient avec nous
devant un chétif sapin de Noël en plastique qui a bien chuté cinq ou six fois
de son piédestal instable jusqu’à ce que Bernard décidât de le tenir à bout de
bras pour la postérité.
Parmi
les quelques professeurs chrétiens présents, une plantureuse et sympathique
musulmane tout en noir, prof d’anglais à l’excellent accent comparé à nos pauvres
francophones, nous a dit à chacun, Bernard et moi, en nous quittant :
« Pray for me ».
J’ai
appris que tous les professeurs sont chrétiens sauf ceux d’arabe et de religion
musulmane, ce qui fait une dizaine de femmes voilées. L’école accueille 900 élèves
en incluant les maternelles et il faut encore attendre deux ans pour que la
première promotion (les nuls en français dont je parle plus haut) arrive en
terminale.
Les
chrétiens égyptiens ont tous une petite croix tatouée à l’intérieur du poignet
ou sur la racine du pouce et des enfants s’étonnent que je n’en aie pas. Les
Coptes observent un jeûne strict pendant l’Avent et le Carême. Depuis le 25
novembre jusqu’au 6 janvier (soit 40 jours), à partir de 7 ans, ils se privent
de tout ce qui est viande, produits
laitiers, œufs, alcools, bière. A ceci s’ajoutent quotidiennement vingt minutes
de prières spéciales pour cette préparation à Noël. Il en est de même pour la
période du carême avant Pâques. Le poisson est autorisé. Emad m’a expliqué
qu’il n’avait pas commencé le jeûne car il s’y préparait spirituellement. A mon
avis, il est déjà trop gringalet pour se restreindre encore. Pour nous, la
viande est au menu de chaque déjeuner, souvent du poulet..
Vendredi
matin à la célébration, tous les enfants, comme à l’école, avaient leur paquet
de chips personnel et grignotaient avant de laisser l’emballage par terre. Il y
a un petit nombre d’enfants déjà vraiment obèses. Leurs sacs à dos scolaires
sont aussi bourrés et lourds qu’en France. Les petits courent avec un énorme
sac sur le dos qui m’impressionne.
Hier
j’ai retranscrit plus de 550 expressions imagées que Bernard et moi avons
rassemblées. Cela va vraiment « du coq à l’âne » en passant par
« entrer dans la cage aux lions » (la classe des grands est un bon exemple)
et « honni soit qui mal y pense ». Et aujourd’hui nous avons peaufiné
notre bilan car Ashraf, le Copte professeur à l’université de Limoges où il est
marié à une Française, par l’intermédiaire duquel nous sommes venus ici, doit
passer. Il est originaire de Samalout dont il connait bien l’évêque et il est
parent avec notre directrice. Nous souhaitons que ce soit lui qui présente
notre rapport parfois critique plutôt que les profs de français. Comme vous
voyez, Bernard et moi ne chômons pas.
Il fait 26
° à l’ombre et j’ai écourté ma sieste au soleil par crainte d’une insolation.
Pour ceux et celles qui s’inquiètent, nous n’éprouvons pas le besoin de sortir
de notre complexe d’environ 2 ou 3 hectares avec assez d’espace et de lieux
variés pour nous y promener et tout sous la main dans le supermarché. Du reste,
l’extérieur n’a rien d’attrayant avec les rues en terre, poussiéreuses et
couvertes de détritus qu’aucun balayeur ne semble jamais éliminer. Comme la
ville a plus de 100 000 habitants, cela fait pas mal de saletés en tout
genre qui s’incrustent lentement dans le sol.
Demyana,
la jeune femme qui enseigne le français, habite à dix minutes à pied de l’école
mais ne se hasarde jamais seule à pied dans les rues. Elle m’a expliqué que
c’est dangereux pour une jeune Copte au milieu des musulmans. J’ai évoqué la
bicyclette et cela l’a fait rire et me répondre : « c’est interdit
aux femmes ici ». Elle utilise le tuc-tuc pour venir à l’école.
Je vais
terminer pour aujourd’hui. Si j’ai le temps et des éléments nouveaux à vous
raconter, je ferai encore un envoi. Sinon ce serait celui-ci le dernier.
Suite et fin de
mon séjour à Samalout (15
décembre 2014)
J’ai
encore beaucoup de choses à raconter : il se passe toujours quelque chose
à Samalout !
Sous mon
studio, il y a un grand atelier de menuiserie bien équipé où une dizaine
d’hommes travaillent activement de 7h du matin à quelquefois fort tard le soir.
Ils fabriquent tout : le mobilier des classes, les portes de la
cathédrale, les meubles de jardin, des bureaux, mon lit et mon armoire, etc…
Leurs grosses machines sont assez bruyantes et de longues planches attendent
dans la cour où ils scient à la main, rabotent, assemblent, poncent,
vernissent…
Les
portes de l’église sont en marqueterie de bois de différentes couleurs selon un
fin motif de croix assez compliqué et c’est un très beau travail dont la partie
cachée est impressionnante d’entrelacs.
Leurs
montants sont sculptés avec minutie de grappes de raisin. Les chaises de
l’école ont une jolie forme avec un pied en H. Malheureusement, on laisse les
enfants se balancer et pas mal de sièges, n’ayant pas résisté au traitement, se
retrouvent entassés dans un coin de la classe et remplacés par une chaise de
jardin en plastique.
Bernard
et moi trouvions cela dommage quand, surprise, un atelier de réparation s’est
installé dans la cour de récréation et une montagne impressionnante de meubles
d’enfants se retrouvèrent à l’hôpital pour être recollés et renforcés avec
force L bien vissés. Les tables sont couvertes de graffitis mais la directrice nous a annoncé que,
pendant les vacances de Noël, elles allaient toutes être poncées et revernies
et que chaque enfant serait responsable de son mobilier car ils gardent
toujours la même place toute l’année.
Pour que
ce soit plus convivial, les tables des enfants sont plus ou moins rassemblées
en petits groupes de 5 à 10 se faisant face. En contre partie, certains se
retrouvent le dos au tableau et doivent faire de constantes contorsions. Ils
sont d’autant plus tordus sur leurs chaises qu’ils posent leurs énormes sacs
derrière eux sur l’assise, ce qui ne leur laisse guère de place pour poser les
fesses. D’autres accrochent le sac au dossier et se lèvent sans cesse pour y
chercher un cahier, un crayon ou un mouchoir
pour essuyer le tableau.
Chez les
plus grands, les tables sont mises dans tous les sens selon le bon vouloir des
élèves et je me suis battue chez certains pour mettre un peu d’ordre.
Généralement les filles, en minorité, se regroupent d’un côté et, selon les
classes, au premier rang ou au dernier rang. Les professeurs n’ont ni table ni
chaise, donc rien pour poser leurs affaires !
Les
tableaux sont blancs et les classes sont décorées de textes en arabe,
d’affiches, de chats découpés dans du carton. Comme Noël approche, des
guirlandes, « Merry Xmas », arbres décorés, père Noël et autres
fleurissent…Dans la cour un beau père Noël est fait de gobelets en plastique et
chaque colonne est ornée d’un gros nœud papillon doré pour les fêtes. Dans les
couloirs, il y a quelques cartes et affiches de France et une série de posters
didactiques en anglais sur beaucoup de thèmes et très bien faits. Je regrette
de ne pas avoir le temps de les traduire en français.
Bernard
m’a appris que les notes des élèves des grandes classes étaient si catastrophiques
qu’on leur a refait passer un examen beaucoup plus facile ce matin pour ne pas
trop descendre leurs moyennes. L’an dernier, c’était pareil et on avait dû
compter le nombre de lettres correctes et non les mots exacts. Exemple :
s’ils avaient écrit « potato » pour « patate » (mot simple
de dictée), on ne comptait que 2 fautes sur 6 points : les deux
« o » !!!!
Nous
continuons à avoir des surprises intrigantes pour nous. Depuis quelques jours
une équipe d’ouvriers s’active à détruire la jolie terrasse couverte
surplombant la piscine où Bernard et moi aimions déjeuner, les jeunes s’y
réunir pour pique-niquer, les employés pour regarder un match de foot à la
télévision et les amoureux pour bavarder. Tout cela a disparu sous nos
yeux : les guirlandes de Noël qui s’allumaient le soir, les fauteuils en
rotin avec coussins et les tables (dont parfois tous les tortillons du plateau
avaient disparu, ne laissant que la série de clous les ayant retenus !),
les éclairages, puis toutes les balustrades en fer bleu, ensuite les
« tuiles » en bois, enfin le marbre des escaliers d’accès et le sol
en carrelage.
Faute de
marteaux-piqueurs, tout se fait au burin, à la masse et à la pioche avec bruit
et poussière…
Additif :
au moment où j’envoie ce courriel, ils ont amélioré la technique avec de
grosses perceuses à percussion et le travail de sape est presque terminé tandis
que les gravats s’accumulent.
Maintenant
ils en sont au béton du toit (cinq pyramides basses) dont la poussière se noie
dans la belle piscine à débordement. Que vont-ils faire ? C’était neuf
comme le reste et un agréable espace convivial, en plus le seul endroit où se
connecter au wifi, quand on avait de la chance. Il nous a fallu trouver un
interprète pour apprendre qu’on aller remplacer la terrasse par des chambres
d’hôtes comme les nôtres. Il n’y en a que quatre et deux dortoirs aux lits en
fer superposés et serrés (genre le gîte de Roncevaux sur la route de
Compostelle, pour ceux qui le connaissent).
Nous
voyons avec regret disparaître chaque jour un peu plus l’espace convivial de la
terrasse.
Quel
dommage de détruire ce bâtiment tout neuf ! Comme le tennis est à
l’abandon, on aurait pu bâtir dessus à moins de frais. J’en aurais perdu mon
seul poste d’observation vers l’extérieur, un moindre mal ! Les ouvriers
travaillent dans des conditions pénibles à taper toute la journée sans masque
ni casque. Je viens de les voir dans la nuit descendre du toit par une échelle
faite à la main de planches clouées en guise de barreaux, irrégulières et de
travers, armés de leur bouilloire et d’un fil électrique. Le thé ne donne pas
beaucoup de force mais c’est jeûne : ils boivent en équilibre sur les
toits pentus et ne s’interrompent que pour déjeuner, ayant commencé à 7h.
Au club,
il y a souvent des réunions diverses, conférences ou autres et des groupes de
passage.
Profitant
de ma vie plus décontractée qu’en France bien que dense, j’ai écrit des cartes
mais, à la poste, il n’y avait que trois timbres pour l’étranger et Emad, le
prof de français, a dû passer commande. A son passage suivant, la quantité
obtenue était encore insuffisante. C’est si difficile dans cette ville de
55 000 habitants (quand même ! Et même 120 000 selon d’autres
sources) d’avoir de tels timbres que, désolée, j’ai renoncé à terminer mon lot
de cartes qui serait parti la veille de mon départ. Je le regrette pour les
destinataires prévus qui me pardonneront certainement.
Qu’ils/elles
se consolent car j’ai fait un excellent usage de la somme que je voulais y
consacrer. Pour le prix d’un timbre pour l’étranger, on peut faire tirer dix
photos. Dimanche une centaine de paysans coptes du 3ème âge ont eu
une fête sous mes fenêtres. La plupart des femmes étaient vêtues de noir, un fichu passé derrière les oreilles et
attaché sur le devant de la tête avec un foulard par-dessus, une croix ou un
petit collier au cou. Beaucoup de ces pauvres veuves n’avaient plus qu’une ou
deux dents et plusieurs qu’un seul œil valide. L’une d’elles n’avait plus de
nez (lèpre ?).
Tous les
hommes étaient en djellaba avec un turban souvent mal entortillé, un certain
nombre avec un bâton en guise de canne. Je n’osais pas prendre de photo de ces
gens assez miséreux assis silencieux, un peu raides et intimidés au bord de la
piscine, un univers si différent du leur. On les fit déjeuner puis deux
chanteurs entonnèrent ce que je suppose être des rengaines de leur jeunesse et
ils frappaient des mains en rythme, déjà plus détendus et heureux de cette
sortie exceptionnelle. Ensuite ce fut le goûter et la distribution de cadeaux…utiles,
chaussures pour les hommes, collant bouffant pour les femmes. Ils me
paraissaient vieux mais n’étaient que dans la soixantaine, usés par le travail
de la terre sans mécanisation.
Les
organisateurs ne parlaient qu’arabe et les invités venaient de quatre paroisses
proches de Samalout. J’ai tenté timidement une première photo de trois
participants en la leur montrant. Ils étaient ravis et je me suis enhardie. Les
femmes se laissaient aussi photographier et j’ai pris 150 clichés de beaux
visages aux sourires édentés. Tous et toutes me réclamaient et je devais leur
dire « badine » (après). Ils en redemandaient et, étant redescendue
sans ma caméra, j’ai dû remonter la chercher. Finalement, j’ai tout transféré
sur la clé USB d’un des animateurs et donné cinq euros pour que chacun et
chacune puisse avoir une photo de lui ou d’elle. Je crois leur avoir fait très
plaisir en m’intéressant à eux et en les prenant en photo. Ils sont repartis
heureux.
Pour en
revenir aux cartes, la communication a bien évolué et, grâce à Internet, vous
avez reçu beaucoup plus d’information sur ma vie ici que sur une carte !
Mariam,
une élève de 14 ans nous a invités à déjeuner chez ses parents à côté de
l’école. Tous les deux médecins dans la quarantaine, ils ont fait construire
leur maison de 3 étages entre deux immeubles en 2004. Au rez-de-chaussée,
Farida vient de fermer son cabinet de dermatologue et travaille maintenant à
l’hôpital copte. Il y avait trop de risques pour une femme copte
(« razzia », prise en otage,..). Son mari possède une clinique toute
proche. Ils possèdent un appartement au Caire et un autre à El Minia, la
capitale de province (dont les rues sont asphaltées) et ont trois enfants.
Ils des
cousins à Paris, médecin et restaurateur..
Lassés
des tracasseries faites aux Coptes, ils ont émigré au Canada, à Vancouver, mais
ils n’y ont pas trouvé un bon travail (lui parle très peu anglais) et, surtout,
Mariam n’a pas supporté l’ostracisme dont elle se sentait victime (en tant
qu’ « arabe » puisqu’Egyptienne) alors que les Coptes se
considèrent comme des descendants des Egyptiens de l’antiquité dont le pays a
été envahi et colonisé par les Arabes musulmans.
La
voyant rentrer en larmes chaque jour de l’école –où, au moins, elle a appris
l’anglais- ses parents ont décidé de rentrer à Samalout et d’y reprendre leurs
activités malgré la situation difficile.
Mariam
nous confie que, plus jeune, elle ne pouvait, en tant que fille, faire de la
bicyclette que sur le terrain vague de l’école. La terrasse de la maison, d’où
on aperçoit la ville avec une mosquée et un autre club à piscine, est équipée
d’une grande cage où étaient élevés poules et canards avant leur départ. Voilà
pourquoi on entend tant de coqs chanter à des heures indues depuis notre
repaire.
Nous
sommes très bien accueillis avec du thé comme apéritif puis un plantureux repas
auquel les parents ne touchent pas, jeûne oblige. C’est méritant de la part de
la maîtresse de maison de nous avoir préparé un tel festin (plusieurs viandes,
différents riz, une soupe, des sauces) sans pouvoir y toucher, pas plus que
leur fils de 15 ans.
Dans le
salon cossu aux lustres chargés, les seuls tableaux sont la photo de mariage,
celle de l’ancien pape copte Shenouda III qui le fut plus de 40 ans, un grand
crucifix et des images pieuses, certaines
collées
sur les meubles et dur le chambranle d’une porte. Nous sommes repartis ravis
après avoir vu les photos de mariage et de baptême de la famille et reçu chacun
un chapelet (identique à celui des catholiques). Au cas où, j’avais apporté des
petits cadeaux de France.
Pendant
l’Avent il y a un chœur d’enfants a l’office et leurs voix stridentes dans un
micro poussé à fond cassent les oreilles. Les moments de silence sont rares
entre la scierie dessous, les « destructeurs » de terrasse à côté,
les concerts décalés des muezzins avec leur long commentaire du Coran du
vendredi, les coqs, les chiens, les chats, les pétards des mini-feux d’artifice
chaque soir, les réunions de jeunes au club sans oublier le train du Caire à
Louxor qui siffle quand il passe au bout de la rue à toute heure et, bien sûr,
les classes où les profs crient et les élèves répètent en chœur.
Les
seuls qui se sont enfin presque tus depuis deux jours sont les moustiques
devenus trop faibles. Quel soulagement de ne plus avoir à faire dix fois par
soir l’inspection des murs et des recoins pour débusquer les traites nous
narguant sur l’écran de l’ordi ou dans notre assiette mais si lestes. Chaque
matin, Bernard et moi échangions le nombre de trophées nocturne et aussi les
échecs !
Côté bruit,
il y a cependant du progrès à ma demande. Les enfants disent
« bonjour » calmement et
Emad
fait des efforts pour ne plus commencer ses cours en hurlant pour s’imposer.
Mais il oublie vite de se maîtriser à la première incartade d’un élève. Mariam
nous a confié qu’elle supportait très mal les entrées agressives d’Emad dans sa
classe (d’élèves très difficiles) et regrettait les méthodes de Demyana. Lui
est assez rustre et veut s’imposer, tâche difficile car il a tous les grands
élèves en charge et que la majorité le dépasse en taille et corpulence. Il gère
aussi, et bien, les débutants tandis que sa collègue s’occupe des faciles, de 9
à 12 ans. Sa collège use de la règle plate sur les mains.
Ashraf,
le Copte installé à Limoges par qui nous sommes venus ici, est originaire de
Samalout et y passe quelques jours venant assurer un cycle de conférences en
Egypte. Nous lui avons présenté le bilan détaillé de notre expérience et nos
suggestions qu’il traduira à Madame Neween, la directrice, dont il vient de nous
apprendre que Neween est seulement son prénom. Celle-ci insiste pour que nous
revenions l’an prochain. Nous n’avons dit ni oui, ni non mais
« inch’allah » car c’est un volontariat prenant et fatigant, parfois
décourageant.
Est-il
même utile ? Sur plusieurs points
certainement : cela apporte un soutien aux Coptes de voir qu’ils ne sont
pas oubliés, aux enfants de cette petite ville une ouverture vers l’extérieur,
aux plus jeunes une formation structurée en français mais pour les plus de
douze ans, les bases manquent et nous sommes inutiles pour seulement imposer la
discipline. Nous constatons avec plaisir que maintenant les cours sont propres
après les récréations et que les enfants ramassent leurs emballages d’en-cas.
Une classe est chargée à tour de rôle de jeter ce qui traîne après la pause.
Pourvu que cela dure !
Plongé
dans Wikipédia, Bernard a préparé un guide précis de prononciation du français.
Nous avons aussi établi un dossier de recommandations pour les profs de
français. En le passant au crible avec eux, nous avons découvert leur
incapacité à comprendre notre vocabulaire et nous remplaçons les « en
sorte que » par « pour que » et « l’assimilation » par
« savoir bien », etc…pour être sûrs qu’ils « intègrent »
(mot inconnu) correctement nos recommandations, ce qu’ils n’ont pas fait l’an
dernier par manque de compréhension. Bernard utilise un langage d’entreprise
qui les dépasse !
Ashraf a
proposé qu’ils traduisent ce texte en arabe et il le leur corrigera : bon
exercice. J’ai terminé un travail sur les « e » ouverts et fermés
(ex : neuf et ne), de même pour les « o » (ex : Paul et
pôle) et Bernard et moi découvrons les difficultés du français, devant souvent
vérifier les accents « é » et « è » dans le dictionnaire ou
les grammaires que nous avons prudemment apportées.
Je suis
aussi arrivée à répertorier plus 700 expressions imagées et 225 racines
grecques.
Nous
n’avons pas chômé pendant notre temps ici et, malgré quelques siestes au
soleil, ce ne fut pas des vacances mais un vrai travail à temps plein. Nous
rentrons sans être reposés. Je pense que notre collaboration fut fructueuse et
qu’être deux nous donna une bonne émulation. Bernard se chargeait des mises en
page et insistait sur son côté cartésien et pragmatique alors que je
m’attachais à chercher la précision et à me mettre à la hauteur des
destinataires de notre travail.
Tandis
que je termine cette chronique finale, je suis seule et sur le point de rentrer
en France. Bernard est parti dimanche directement à l’aéroport du Caire en
taxi. Il en sera de même pour moi.
J’espère
que ma petite chronique aura intéressé ses lecteurs.
Chantal Barre
Samalout 16.12.2014